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Vocation héréditaire de la nièce : avis favorable du mufti, opposition des juges

Cujas

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Bonjour,

Une dame de mon entourage, fille unique, a été atteinte au début de l'année 2009, par le décès de son oncle paternel, célibataire n’ayant laissé aucun descendant. Le père de l'intéressée, étant prédécédé, cette dernière s’est trouvée être le seul parent du défunt. Or, le cas de la nièce du défunt a été ignoré par la partie du Code du Statut Personnel relative aux successions. Elle a d'abord sollicité la délivrance d'un certificat de décès auprès du Tribunal Cantonal de Tunis, mais elle s'est heurtée à un refus de la part d'une femme magistrat qui a déclaré être contente que l'intéressée n'héritait pas, en tant que femme, car elle ne jugeait que par la Charia.

Elle s'est ensuite adressée au Président du Tribunal Cantonal de Tunis. Sa situation étant inédite, et le Code du Statut Personnel étant muet quant à ce cas, le magistrat l'a invitée à solliciter l’avis du Mufti de la République afin d’éclairer sa future décision.

Monsieur le Mufti de la République, Othman Battikh, dans son avis en date du 16 Avril 2009, a déploré l’oubli du législateur relatif au cas particulier de la fille du frère du défunt en matière d’héritage. Il a, en outre, pris position en faveur de la vocation héréditaire de la nièce, invitant la jurisprudence judiciaire à décider en faveur du cas de l'intéressée, en s’appuyant notamment sur l’opinion de l’Imam Achhab :

و ما دام المشرع التونسي قد سكت عن هذه الصورة صورة الحال و هي إنفراد بنت الأخ فيمكن لفقه القضاء أن يجتهد بتوريثها على رأي أشهب باعتبارها تدلي إلى الهالك من جهتين جهة القرابة و جهة الإسلام ، خلافا لصندوق الدولة

Il en ressort que même la jurisprudence islamique confirme la reconnaissance de la vocation héréditaire de la nièce d’un défunt. Tel est, en tous cas, l’avis de la plus haute autorité religieuse de notre pays, qui s’est avéré progressiste et respectueux de la femme musulmane et de sa dignité, allant dans la droite ligne de la politique de notre gouvernement.

Par la suite, elle a porté la fatwa du 16 avril 2009 à la connaissance du Président du Tribunal Cantonal de Tunis, qui lui a suggéré de former une demande en vue de l'établissement d'un certificat de décès, pour lequel il s'est déclaré favorable. Le juge cantonal (une femme) saisi de l’affaire, malgré cet avis favorable du Mufti dont elle n’a pas tenu compte, a refusé de reconnaitre la vocation héréditaire de l'intéressée, décidant que la fille du frère des défunts ne recueillait pas leur succession, bien qu’elle soit le seul membre restant dans la famille, dans une décision rendue en Mai 2009.
La décision rendue par ce juge signifierait donc que l'intéressée n’aurait pas vocation à recueillir la succession de son oncle, du seul fait qu’elle est une femme.

Cette interprétation injuste, fruit du conservatisme de certains magistrats, va manifestement à l’encontre de notre Constitution et de l’esprit du Code du Statut Personnel et de la politique que notre gouvernement a menée.


Cujas

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Re : Vocation héréditaire de la nièce : avis favorable du mufti, opposition des
« Réponse #1 le: 17 août 2009, 08:44:17 pm 20:44 »
En effet :

D'abord, l’Article 120 du CSP dispose que la fille du frère du défunt n’a pas la qualité d’héritier universel en raison de la présence de son frère. A contrario, cela signifierait qu’en l’absence d'un frère, la nièce peut être l’héritière de son oncle. C'est ce qu’a voulu exprimer implicitement le législateur.
De plus, l’intention qui a présidé à l’adoption du CSP était d’éviter que les membres de sexe féminin de la famille d’un défunt ne soient privés d’héritage en raison de leur genre. Il semble évident que l’esprit de cette avancée inédite dans le monde arabo-musulman était de tendre vers l’émancipation de la femme tunisienne et vers l’égalité, ce qui va dans la droite ligne de la politique menée par le Président de la République. Permettre à la justice d’évincer la nièce d’un défunt au profit du Trésor Public, en raison du seul fait qu’elle est une femme, serait une injustice contraire à la dynamique avant-gardiste initiée par les fondateurs de la République Tunisienne, et que le Président de la République a entendu maintenir depuis le Changement ;cette modernité étant la plus grande richesse de notre Nation.

En outre, à l’appui de cette interprétation du Code du Statut Personnel, il faut invoquer le Code des Droits d’Enregistrement et de Timbre. En effet, depuis la création de la République Tunisienne, la loi prévoit des barèmes d’imposition relatifs aux droits de succession dont la nièce d’un défunt est redevable lorsque celle-ci hérite de son oncle. Ainsi, l’Article 20 du Code des Droits d’Enregistrement et de Timbre prévoit aujourd’hui des droits de succession lorsque la succession d’un défunt est recueillie par sa nièce. Or, si le même législateur qui a adopté le CSP, a édicté une loi prévoyant l’héritage de la nièce, cela signifie manifestement que dans son esprit et dans son intention, la loi admet la vocation successorale de la nièce. Il nous semble donc que les dispositions du Code du Statut Personnel relatives aux successions devraient être interprétées à la lumière de l’Article 20 du Code des Droits d’Enregistrement et de Timbre.

D’autre part, il ressort de l’esprit du Code du Statut Personnel que le Trésor Public n’a de vocation à succéder au défunt qu’en dernier lieu et en l’absence d’un quelconque parent du défunt. Lorsqu’il existe un parent du défunt, même s’il n’est pas cité expressément par le CSP, c’est ce parent qui hérite du défunt et qui évince le Trésor Public. C’est ce que la Cour de Cassation a affirmé dans l’arrêt n° 19407 en date du 27 Septembre 1990 : en l’absence d’héritiers agnats (Aceb) et d’héritiers réservataires (Fardh), c'est à dire les deux catégories d'héritiers énumérés par le CSP, la seule présence d’un parent proche (Dhaoui el Arham) évince le Trésor Public, auquel cas le Trésor ne recueille que les droits de succession. C’est également l’avis du Mufti de la République (Cf. Avis du 16 Avril 2009).

Abdou

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Excellent sujet.
je n'ai pas me priver d'en faire un billet sur le blog.
http://jurisitetunisie.com/blog/index.php/2009/08/18/183/
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Alfred Capus

 

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