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Réglementation des changes => Commentaire des textes et projets => Discussion démarrée par: Salim1980 le 09 avril 2024, 10:14:02 pm 22:14

Titre: Compte Personne Physique Résidente pour un ex-non résident : quelle légalité ?
Posté par: Salim1980 le 09 avril 2024, 10:14:02 pm 22:14
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Bonsoir,

Narcisse Fliss, Tunisien, a longtemps, travaillé à l’Étranger avant de revenir en Tunisie et s’y installer. Son compte spécial en devises ouvert à la suite de la déclaration des avoirs qu’il a constitués à l’étranger avant son retour, en principe, définitif a été changé en un compte « Personne Physique Résidente » - PPR - à la demande de sa banque.

Après s’être plié à l’injonction de son conseiller, Narcisse a effectué quelques recherches et s’est posé quelques questions que je reprends succinctement avant de tenter d’y apporter une réponse.

Narcisse s’interroge, à titre personnel, sur la légalité de son nouveau compte et d’une façon générale, sur celle des nouveaux comptes que des milliers de Tunisiens ouvriraient après avoir passé plusieurs années à l’étranger en réussissant leur insertion, se constituent un patrimoine puis changent de résidence. En effet :

La réponse est dans les questions, posées d’une façon aussi précise, Narcisse.

S’agissant de la transformation des comptes spéciaux en comptes PPR, l’instruction de la banque centrale, prévue à l’article 15 de la circulaire n° 2017-04 du 23 juin 2017 est parfaitement conforme aux dispositions du décret 77-608 du 27 juillet 1977 tel que modifiée par le décret n° 2017-393 du 28 mars 2017 (https://www.jurisitetunisie.com/get_jort.php?fichier=D2017_0393-F2017_026.pdf&desc=). En effet, les comptes spéciaux ouverts avant la parution de la circulaire n° 2017-04 ont été ouverts sur présentation de la déclaration prévue aux articles 16 et 18 de la loi 76-18 du 21 janvier 1976 ou de l’attestation prévue à l’article 16 de la loi n° 86-33 du 1er septembre 1986 (https://www.jurisitetunisie.com/get_jort.php?fichier=L1986_0083-F1986_048.pdf&desc=) portant loi de finances rectificative pour l’année 1986.
Citer
Article 15 de la circulaire 2017-04 du 23 juin 2017: Les Intermédiaires Agréés doivent procéder, au plus tard le 31/12/2017, à la transformation en comptes P.P.R des comptes ouverts sur leurs livres au nom des personnes physiques, dans le cadre des circulaires suivantes :
- la circulaire n°87-37 du 24 septembre 1987 relative aux comptes spéciaux en devises et en dinars convertibles
...
Pas de souci donc au sujet de la transformation des comptes PPR ouverts sans autorisation particulière de la BCT mais sur présentation d'une déclaration, Narcisse. Comme on le verra plus loin, c'est hélas, cette absolue conformité qui est quelque peu problématique.

Pas de souci non plus, comme vous l’avez pressenti, pour l’ouverture des comptes PPR au nom des tunisiens résidents qui acquièrent des avoirs à l’étranger sans avoir changé de résidence comme dans le cas d’une succession ou d’une donation faite à l’étranger. C’est d’ailleurs ainsi que la banque centrale le conçoit puisqu’elle exige pour ces personnes la présentation de la déclaration — Annexe 1 de la circulaire 2017-04, quatrième alinéa.
Citer
Annexe 1 de la circulaire 2017-04 du 23 juin 2017: Documents à fournir lors de l’ouverture d’un compte de Personne Physique Résidente –P.P.R en devises ou en dinar convertibles
• copie de la carte d’identité nationale pour les personnes de nationalité tunisienne
...
• Les tunisiens ayant des avoirs acquis régulièrement à l’étranger: Copie de la déclaration d’avoir telle que prévue par l’article 16 du code des changes établie dans un délai maximum de 6 mois à partir de la date d’acquisition de l’avoir1.

Par contre, à mon avis, la banque centrale n’a pas été appelée dans le décret 77-608 tel que modifié par le décret 2017-393 à définir les conditions d’ouverture et de fonctionnement des comptes de personnes physiques de nationalité tunisienne dont les fonds destinés à y être logés à leur ouverture ne font pas l’objet de la déclaration prévue aux articles 16 et 18 de la loi 76-18 du 21 janvier 1976. Or, les avoirs dispensés de déclaration sont précisément ceux des Tunisiens transférant leur résidence habituelle de l’étranger en Tunisie à partir de la date d’entrée en vigueur du décret-loi n° 2011-98 du 24 octobre 2011 (https://www.jurisitetunisie.com/get_jort.php?fichier=DL2011_0098-F2011_081.pdf&desc=). Ces avoirs ne sont pas visés par l’article 25 du décret 77-608 du 27 juillet 1977 cité ci-dessus pour être versés dans les comptes PPR tels qu’énumérés à puisque celui subordonnent leur versement à l'accomplissement de la formalité de déclaration.
Pour ces avoirs, selon notre analyse, la circulaire est sans objet dés lors que le décret n'a pas instruit la banque centrale de définir les modalités d'ouverture des comptes pouvant abriter cette catégorie d'avoirs et revenus, le décret 77-608, rappelons-le avec insistance, n'a pas envisagé cette catégorie de fonds dans son article 25 modifié en 2017 d'ailleurs pas même avant, en 2011, ni après.

Les avoirs des tunisiens dont la résidence habituelle change de l'étranger à la Tunisie  ne sont pas en outre concernés par l'obligation de cession des devises et sa dispense qui sont traitées à l'article 25 du décret 77-608 du 27 juillet 1977.
En effet, Il est à rappeler que l'article 25 s'inscrit dans la même logique qui a prévalu depuis la promulgation du code des changes en 1976 et dans des dispositions identiques d'autres textes avec celle appliquée en Tunisie sous protectorat malgré que le pays ait acquis son indépendance. Avec les "assouplissements" introduits, cet article a abrité les exceptions, d'années en années à partir de 1987, des avoirs et revenus soumis à obligation de rapatriement mais dispensés de l'obligation de cession des devises à la banque centrale.

Or, les fonds dont il s'agit concernent des avoirs dispensés de l'obligation de rapatriement et donc sont automatiquement affranchis de l'obligation de cession à la banque centrale sans qu'aucune instruction ne vienne le préciser, c'est un automatisme technique propre aux devises convertibles qu'on ne peut convertir en dinars tunisiens si on ne les rapatrie pas auparavant en Tunisie. Juridiquement et techniquement les avoirs des ex non résidents ne sont en aucun cas visés par les dispositions de l'article 25 du décret 77-608.

L'assouplissement introduit par le législateur - avant même que ne soit soufflée la première bougie de la "Révolution" dans une optique qui devait clairement enclencher dans les mois suivants la quasi abrogation du code des changes - par le décret-loi n° 2011-98 du 24 octobre 2011 constitue, d'ailleurs, une innovation et une évolution majeure de la réglementation des changes et de son esprit aussi importante que la libéralisation des opérations courantes en 1993 et auxquelles l'administration ne semblait pas être préparée.

Ainsi, à ce jour le ministère concerné et la banque centrale qui ont été chargés par l'article 3 du décret-loi de son exécution n'ont pas introduit les modifications induites au niveau du décret 77-608 d'application de la loi 76-18 et, par voie de conséquence, le fondement juridique des circulaires d'application de la banque centrale. [/b]
Citer
Art. 3 du décret-loi n°2011-98 du 24 octobre 2011 – Le ministre des finances et le gouverneur de la banque centrale de Tunisie sont chargé, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret-loi ...

D'où vos interrogations légitimes, Narcisse, auxquelles nous avons tenté de répondre et d'identifier, quelque peu, le contexte dans lequel elles se posent.

D’ailleurs, pour compléter vos propos, aurait-il été concevable que pour les Tunisiens ex-non résidents leur soit interdite toute possibilité de débiter leur compte PPR pour alimenter un compte bancaire à l’étranger alors qu’ils sont désormais autorisés à conserver tous leurs comptes à l’étranger  et de choisir sans contrainte - au niveau change - ce qu'ils souhaitent conserver en Tunisie et à l’Étranger? Pourtant, c’est bien ce que prévoit l’article 8. de la circulaire qui stipule pour tous les comptes ouverts :
Citer
Art. 8. de la circulaire 2017-04 du 23 juin 2017, premier paragraphe, troisième tiret :... … le titulaire du compte ne peut en aucun cas constituer des avoirs en comptes bancaires à l'étranger :

La banque centrale si elle est habilitée à accorder des autorisations particulièresne nous semble pas en l'état actuel de la réglementation ni même dans un état de droit où la hiérarchie des textes est respectée, pouvoir restreindre par un texte réglementaire - une circulaire - les droits accordées par une loi. d'autant plus que la loi 76-18 a bien délimité les prérogatives et le cadre de l'intervention du ministre des Finances et de la Banque centrale à ses articles premier (dernier paragraphe) et article 2 qui stipule:
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Article 2 : Des décrets pris sur proposition du Ministre des Finances et après avis de la Banque Centrale de Tunisie définissent les opérations considérées comme constituant une exportation de capitaux aux termes de l'article premier et peuvent édicter toutes prohibitions, obligations et règlementations en vue de mettre en œuvre les dispositions de la présente loi.

En conséquence, et sachant que la banque centrale n'ignore nullement ces dispositions et qu'au contraire, elle a toujours veillé à renforcer l'application de la loi et son respect, la circulaire n°2017-04 semble comporter des incohérences qu'il y aurait lieu de lever et sur lesquelles le "Comité de contrôle et de la conformité" prévu par l'article 42 de la loi 2016-35 du 25 avril 2016 portant fixation du statut de la Banque centrale de Tunisie devrait être invité à se pencher même si, d’après les visas de la circulaire 2017-04, il a déjà émis un avis favorable sans que celui-ci ne soit mis à la disposition du public ou annexé à la circulaire.

La levée des incohérences et la mise en conformité de la circulaire et celle du décret 77-608 devraient, à mon avis, être entreprises sans même attendre que la loi portant réglementation des changes et ses textes d'application ne soient modifiées comme il semble que l'opinion y a été préparée depuis l'annonce depuis des années d'une modification du code des changes et qui désormais a eu l'effet pervers de bloquer la prise de mesures régulières, habituelles et nécessaires dont l'économie et les opérations financières auraient eu besoin. Le changement du code est une chose - très importante d'ailleurs - la gestion de la loi et de la réglementation au quotidien en est une autre.

Ainsi et d'ailleurs, toujours dans le cadre que vous avez abordé, Narcisse, il semble que la législation actuelle relative aux avoirs des Tunisiens qui ont changé de résidence, est globalement incomplète: elle n’envisage pas toutes les possibilités que la profusion de dispositions réglementaires permet d’envisager car, en sus du sort des avoirs volontairement rapatriés – en tout ou en partie – de l’étranger par les tunisiens — dont on ne connaît, légalement la destination — la question peut aussi se poser pour les avoirs qui étaient déposés dans les comptes étrangers en devises et en dinar convertible ouverts en Tunisie auprès des banques tunisiennes. Leur destination pourrait être le compte PPR comme en a fait le choix la banque centrale en attendant la confirmation légale, mais, il se pourrait que l’on puisse envisager un autre type de compte. Les autorités marocaines, pour ne citer que l’exemple de ce pays, ont prévu la création de comptes dits ex-MRE (Marocains Résidant à l’Étranger) équivalents à ex-TRE (Tunisiens Résidant à l’Étranger) qui abritent les avoirs auparavant logés dans les comptes étrangers  ainsi que les fonds éventuellement rapatriés de l’étranger.

Voilà Narcisse, une tentative d’apporter une réponse à vos interrogations. Désolé d'avoir été un peu long mais, cela était nécessaire afin que vous - et d'autres - puissiez apporter la critique qui permettrait d'améliorer la réponse.

Comme je ne doute pas que vous aurez d’autres questions, je vous dis à bientôt et,

Bonne fête de l’Aïd.