Les extraits des textes cités sont repris dans le premier commentaire
Bonjour,
C’est encore Narcisse, qui m’avait posé deux questions liées aux comptes PPR qui, cette fois-ci m’interroge sur la conformité à la réglementation des changes des règlements effectués au titre d’investissements directs à l’étranger par le débit de ses comptes « Bénéfices-Export » et « Spécial en devises » avant et après que ces comptes soient fusionnés en un seul compte « Personnes physiques résidentes » — PPR — à la fin de l’année 2017 — car, il n’a pas pu, malgré ses recherches et l’interrogation de juristes, retrouver le texte qui autorise ces opérations.
Afin de tenter d’apporter une réponse à cette interrogation, il me semble utile de rappeler brièvement :
- les catégories de personnes physiques autorisées à disposer de comptes PPR,
- la nature des dépenses qu’ils sont autorisés à faire en insistant plus particulièrement sur les dépenses au titre d’investissements à l’étranger,
- le statut — libre ou soumis à autorisation — des transferts de devises au titre d’investissements autorisés par débit de comptes PPR
- les modalités d’octroi des autorisations des opérations qui ne bénéficient pas de la liberté de transfert selon la réglementation des changes.
Les bénéficiaires des comptes PPRAfin d'alléger le message, cette section a été renvoyée en
commentaire. Le lecteur pourra ainsi y revenir à tout moment, le contenu de la section étant complet pour l'objet qui y est abordé. Merci, Narcisse, de m'accorder cette licence.
Les dépenses autorisées par débit des comptes PPRLes opérations courantesSans autorisation de la banque centrale, les avoirs logés dans les comptes PPR peuvent servir au paiement à l’étranger de toute dépense courante qu’est susceptible d’effectuer une personne physique : à son profit, celui de son conjoint, de ses enfants — au premier degré, mineurs ou majeurs — et de ses père et mère.
L’avantage du compte est la possibilité de dépasser les quotas prévus au titre des allocations pour voyages y compris lorsque ces dépenses sont effectuées au profit des enfants majeurs et des père et mère même lorsqu'il ne voyagent pas avec le titulaire du compte. Ces opérations sont dans leur quasi-totalité des opérations pouvant donner lieu librement à des transferts à destination de l’étranger en vertu des dispositions de l’article premier du code des changes.
L’avantage du compte PPR, dans ce cas, est de permettre des transferts au-delà des quotas qui sont appliqués aux personnes tunisiennes résidentes qui ne disposent pas de comptes PPR. Cette possibilité, nonobstant son caractère discriminatoire comme l’est toute disposition liée à la réglementation des changes, est permise par les textes d’après une interprétation permissive des dispositions de l’article 12 ter du décret n° 77-608 du 27 juillet 1977 qui ont autorisé la banque centrale a fixé sous forme d’allocations ou de pourcentage les montants liés aux frais de séjour.
Quand à la possibilité donnée aux membres de la famille de disposer des fonds du compte, on peut considérer que la banque centrale a donné une délégation aux banques pour remettre les devises, devises qu'auraient pu retirer le titulaire du compte sans plafond et aurait accompagné les membres de sa famille ...
Les opérations en capitalSans autorisation « préalable », un compte PPR quelles que soient la catégorie de son titulaire et l’origine des fonds qui l’ont alimenté — en devises en provenance de l’étranger ou après achats de devises sur le marché des changes peut être débité comme suit :
Circulaire adressée aux intermédiaires agréés n° 2017-04 du 21 juin 2017, art. 8 :
Les comptes PPR en devises ou en dinars convertibles peuvent être librement débités pour:
« … tout transfert pour l’acquisition par le titulaire du compte lui-même de :
- biens meubles
- et immeubles situés à l’étranger,
- de droits et de créances sur l’étranger
- ainsi que pour effectuer tout acte de gestion des avoirs régulièrement détenus à l’étranger. »
Ces transferts, Narcisse t’ont interpellés.
Tu voudrais t’assurer qu’ils ne sont pas, selon la législation des changes, soumis à une autorisation émanant du ministre des Finances plutôt que de la banque centrale de Tunisie comme cela semble être le cas.
Afin de tenter d’apporter une réponse, je vais rappeler le dispositif prévu pour l’octroi à titre général d’une exemption à l’interdiction ou la prohibition des opérations de change n’ayant bénéficié en 1993 d’une mesure de libération au sens de l’article premier du code des changes.
La réglementation relative à la réalisation d’investissements à l’étranger à partir des comptes PPR et son cadreN’était-ce les restrictions encore appliquées aux opérations en capital, hors les transferts au titre des désinvestissements, le dinar tunisien serait totalement convertible. Il ne l’est pas. Car, précisément,
1.
l’article 28 du décret 77-608 du 27 juillet 1977 soumet à autorisation tout règlement au titre des opérations qui ne figurent pas dans la liste des opérations courantes et donc, en particulier les règlements au titre des investissements des résidents à l’étranger.
2.
le transfert de devises par un résident — personne physique ou personne morale — en vue de constituer des avoirs à l’étranger dans le cadre d’investissements directs ou d’investissements participatifs, opération en capital par excellence, n’est pas libre en application des dispositions de l’article premier de la loi 76-18 du 21 janvier 1976 portant publication du Code des changes : cette opération ne figure pas parmi les opérations ayant fait l’objet d’une mesure de libération.
3. les personnes physiques de nationalité tunisienne soumise aux dispositions de
l’article 16 de la loi 76-18 du 21 janvier 1976 autorisées à disposer de compte PPR en devises, ne peuvent,
sauf autorisation générale du ministre des Finances, procéder à aucun acte de disposition sur leurs avoirs à l’étranger ni à aucun acte ayant pour effet d’en réduire la consistance ou de réduire les droits qu’elles possèdent sur ces avoirs d’une part et que d’autre part, l’
art. 17 du décret 77-608 du 27 juillet 1977 a interdit, sauf autorisation, à ces personnes toute acquisition de tout bien à l’étranger.
Les dispositions ci-dessus rappelées confirment que les transferts de devises réalisés dans le cadre d’investissements à l’étranger par des résidents,
quelle que soit la nature du compte à partir duquel les transferts sont effectués, sont soumis à une
autorisation particulière ou à
une autorisation générale du ministre des Finances donnée après avis de la Banque Centrale de Tunisie.
Comment est accordée l’autorisation générale du ministère des Finances ?
Modalités d’autorisation des règlements liés à des opérations qui ne bénéficient pas de la liberté de transfertLe
ministre des Finances, conformément à ses attributions prévues à l’article 14 du décret 75-316 du 30 mai 1975,
élabore les projets de loi et
est chargé, en premier chef, de la réglementation en matière de change.
Le ministre des Finances est par conséquent habilité à élaborer les actes réglementaires décrétés par le gouvernement, sans consultation de l’Assemblée des Représentants du Peuple signés par le Chef du Gouvernement et contresignés par ministre des Finances (dernières constituions de la Républiques).
Les décrets relatifs à la législation des changes sont pris en application de la loi 76-18 du 21 janvier 1976, le principal d’entre eux étant le décret 77-608 du 27 juillet 1977. Ces décrets peuvent être complétés par des avis de change du ministre des Finances. Les avis de change sont émis par le ministre des Finances à son initiative sinon en application des décrets d'application du code des changes.
Ainsi, le ministre des Finances s’est-il vu confié par l’
article 12 du décret 77-608 du 27 juillet 1977 l’élaboration et la promulgation par
avis de change,
des autorisations générales prévues à l’article 1er du code des changes.
La banque centrale est chargée de l’
application de la réglementation des changes en vertu des dispositions de l’article premier du code des changes. L’article 3 du code a précisé que les circulaires de la banque centrale sont adressées exclusivement aux intermédiaires agréés (banques) et ne s’imposent qu’à leurs destinataires ainsi que le prévoit l’article 42 de la loi 2016-35 du 25 avril 2016 portant statut de la banque centrale.
Le rôle de la banque centrale qui n’intervient que par des circulaires,
le plus bas niveau dans la hiérarchie des textes, apparaît ainsi principalement d’ordre technique avec,
en principe peu de valeur réglementaire sauf disposition légale expresse.
Les circulaires de la banque centrale relèvent de la catégorie des «
instructions de service » qu’elles adressent aux intermédiaires agréés à qui elle a, précisément, délégué l’exécution de certaines de ses opérations de change en application des dispositions de l’article 3 du code des changes et qui agissent donc en son nom.
Les instructions — circulaires — de la banque centrale comme le rappelle l’article 42 des statuts de la banque centrale sont dépourvues de force obligatoire à l’égard des tiers auxquels elles ne sont pas adressées.
Les règlements des investissements effectués à l’étranger par les personnes tunisiennes résidentes titulaires de comptes PPR s’inscrivent-ils dans le respect du cadre législatif et réglementaire ainsi rappelé ?
Vérification de l’autorisation des transferts relatifs aux investissements à l’étranger des personnes physiques résidentes
Les recherches effectuées ont établi que le ministre des Finances a, effectivement, dans le cadre de ses attributions, en application des dispositions de l’article premier du code des changes et des articles 12 et 25 (nouveau) du décret 77-608 du 27 juillet 1977
accordé l’autorisation générale permettant d’effectuer des règlements au titre des opérations d’investissements effectuées par les personnes physiques de nationalité tunisienne à partir de leurs comptes PPR auparavant ouverts sous la dénomination « Comptes spéciaux en devises et en dinar convertible » :
- ont transféré leur résidence habituelle à l’étranger en Tunisie et procédé à la déclaration de leurs avoirs à l’étranger
- ont acquis légalement des biens à l’étranger et procédé à la déclaration de leurs avoirs à l’étranger
- ont bénéficié des amnisties de change accordées en 1986 et en 2007 et ont procédé à la déclaration de leurs avoirs à l’étranger
Cette autorisation a été accordée en vertu des dispositions de l’avis de change du 21 avril 1987 publié au Journal officiel du même jour, qui a fixé les conditions d’ouverture des comptes spéciaux en devises et des comptes spéciaux en dinar convertible des résidents prévus par l’article 25 du décret n° 77-608 tel que modifié par le décret n° 87-54 du 17 janvier 1987.
L’avis de change du 21 avril 1987
permet, sans autorisation préalable et donc à titre général, dans l’esprit et la lettre du code des changes et de son décret d’application, «
tout règlement » à l’étranger effectué par débit des comptes spéciaux en devises et des comptes spéciaux en dinar convertible et donc y compris les règlements permettant l’acquisition de biens meubles ou immeubles situés à l’étranger ou de droits de propriété à l’étranger ou de créances sur l’étranger ou libellées en devises ou de droits et intérêts à l’étranger représentés ou non par des titres.
La loi n° 2007-41 du 25 juin 2007 par son article 4, a étendu le bénéfice de cette autorisation générale du ministre des Finances aux bénéficiaires de l’amnistie de change de 2007.
Cet avis est-il toujours en vigueur ? Sa circulaire d'application, la circulaire n° 1987-37 du 24 septembre 1987
a été abrogée à moitié par la banque centrale en application de sa circulaire n° 2017-04 du 23 juin 2017. Il serait inconséquent juridiquement de considérer que l'avis de change par remontage a été lui aussi abrogé comme s'il pouvait être modifié par un texte hiérarchique de niveau inférieur et "par le bas".
Je considère que
le chapitre Premier de cet avis de change - relatif aux comptes spéciaux - est toujours en vigueur dans sa totalité et que l'irrégularité et le non respect de la réglementation, comme on va le constater ci-après, ne créent ni la loi ni l'ordre juridique*.À ma connaissance, il s’agit de la dernière autorisation donnée à titre général par le ministre des Finances dans le cadre de la réglementation des conditions d’ouverture et de fonctionnement d’un compte en devises ou en dinar convertible ouvert au nom d’un résident de nationalité tunisienne.
En effet à la classique disposition insérée dans les décrets d’application du code des changes et leurs modificatifs «
Le ministre des Finances réglemente après avis du gouverneur de la banque centrale de Tunisie l’ouverture et le fonctionnement des comptes… » s’est substituée depuis les années 1988 et suivantes la disposition «
Les conditions de fonctionnement des comptes … sont fixées par circulaire de la Banque Centrale ».
La substitution, à partir de 1987, de la Banque centrale dotée d’un
pouvoir d’autorisation discrétionnaire, à titre individuel, particulier et au
ministre des Finances doté du pouvoir d’autorisation générale n’a pas nécessairement
une incidence sur le plan légal et sur le plan réglementaire si les modalités de fonctionnement qu’arrête la banque centrale de Tunisie ne modifient pas, le statut sur le plan change, des opérations dont elle permet par circulaire à titre général, au débit et au crédit des comptes sans autorisation préalable comme le prévoit la loi.
Tel, cependant, n’est pas le cas, et pour m’en tenir aux
opérations en capital que la banque centrale a autorisé pour tout titulaire d'un compte PPR:
il ressort que la banque centrale de Tunisie dans le cadre de l'instruction à elle donnée par décret du président de la République à trois reprises entre 1987 et 2009, et par le Chef du Gouvernement à deux occasions en 2017 et 2019, la chargeant de fixer les conditions d’ouverture et de fonctionnement des comptes des résidents tunisiens a permis la réalisation, à titre général et non plus individuel, de transferts de devises pour la réalisation d’investissements professionnels et personnels à l’étranger effectués par des personnes physiques qui selon les dispositions du code des changes et de son décret d’application — son article 12 notamment — nécessitaient que le ministre des Finances devait autoriser par avis de change à titre général au préalable.
La banque centrale pouvait-elle s’abstenir de donner des autorisations à titre général que le ministre des Finances n’eût pas donné ou n’ait pas été appelé à donner conformément à ses attributions ?
Le ministre des Finances n’a-t-il pas aussi l’initiative des avis de changes comme, il a pu par le passé en émettre sans que pour un décret du président l’en eut chargé ?
La banque centrale devait-elle ou pouvait-elle se limiter aux opérations courantes et aux opérations déjà autorisées à titre général sans en ajouter et disposer ainsi de pouvoir de réglementer par circulaire quand la réglementation prévoit formellement un avis de change ? Comment et pourquoi le ministre des Finances pourtant chargé de la réglementation des changes selon ses attributions, a-t-il pu s’effacer en amont, devant la banque centrale et soumettre au Président de la République des décrets qui pouvaient aboutir à accorder irrégulièrement des autorisations générales de change c’est—à-dire rendre libre que le pouvoir législatif n’avait pas retenu en 1993 ou dont il avait confié la décision au ministre des Finances ? ou, était-il convenu que la banque centrale n'allait pas "libérer" des opérations que la réglementation et le législateur n'avait pas libéré auparavant ?
Plusieurs questions en guise de conclusion, Narcisse. Pour répondre simplement à ta question oui, tu as raison de t’interroger, mais à ton niveau, en réalisant des investissements
- que ta banque a exécutés,
- que ta banque a effectués par délégation de la banque centrale,
- que la banque centrale ait rendus libres des opérations parce qu’on lui a demandé de réglementer,
- que le ministre pourtant informé des circulaires de la banque centrale dont certaines publiées au journal officiel de la République n’ait pas choisi d’intervenir,
- que la présidence de la République ait, par ses choix, quasiment rendu convertible le dinar pour certaines catégories d’opérateurs aux dépens d’autres n’aient pas choisi de généraliser ou de bloquer,
- que …
Voilà Narcisse, pour répondre à ta question et puis, s’il te plaît,
ne me demande pas si certains comptes que géraient directement la banque centrale avant qu’elles ne soient insérées dans le décret 77-608 du 27 juillet 1977, comme
les comptes sous-délégataires de change étaient réguliers et conforme au code des changes ou non. Non.
A bientôt
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* Le chapitre 2 de l'avis de change du 21 avril, relatif aux comptes professionnels en devises et en dinars convertibles, a été abrogé par l'avis de change du ministre des Finances du 14 avril 1989.