Bonjour,
Dans la
première partie du commentaire de ce 5ème objectif assigné par le chef du gouvernement à la modification du code des changes, j'avais examiné comment la législation des opérations courantes et surtout la mise en application de la convertibilité courante pouvait aider les entreprises résidentes à "s'internationaliser" dans le sens où celle-ci pouvait prendre une part plus importante dans les échanges internationaux de biens et de services. Ce n'était certainement pas l'intention du chef du gouvernement mais, il fallait que j'aborde la question pour éviter que l'on considère que mon analyse a été tronquée ...
J'en viens donc, au plus important, à l'essentiel de ce que visait le chef du gouvernement ou probablement ses conseillers et ceux qui lui ont présentés la liste qu'il a publiée, des objectifs de la modification/remplacement du code des changes qui plus d'un mois après son adoption le 14 mars 2024 n'a pas encore été transmis à l'assemblée des représentants du peuple et surtout qu'à ce jour il demeure sous embargo.
Il m'lih yab'ta.Tant mieux dirais-je, j'en profiterais pour commenter les 12 objectifs officiels de la modification - ou au moins ceux qui se prêtent à un commentaire - une sorte de galop d'entraînement au commentaire du code qu'on attend avec impatience et qu'on espère qu'il comportera des innovations réellement, innovations dans l'absolu et non uniquement des emprunts à des réglementations et législations des pays voisins et autres ...
Revenons, au commentaire.
Une entreprise qui exporte, qui exporte même toute sa production n’est pas nécessairement une entreprise qui s’est internationalisée.
Au mieux, c’est une entreprise totalement exportatrice comme il n’y n’en est plus vraiment, même en Tunisie.
Évolution du droit d'investir librement à l'étrangerUne entreprise qui s’internationalise est une entreprise qui dispose d’une présence à l’étranger soit pour accompagner la commercialisation de sa production locale soit pour produire à l’étranger soit pour détenir des droits intérêts et dans des sociétés étrangères.
En Tunisie, on l’a vite compris quand en 1993, l’année qui a suivi l’annonce solennelle de la convertibilité courante du dinar, l’année où la croissance économique dépassait les plus optimistes projections du plan quinquennal - 8,5% comparé au -02% du dernier trimestre et -03,3% du trimestre précédent - l’année où les déficits s’étaient remarquablement réduits, un avis de change du ministre des Finances publié au mois de décembre 1993 a autorisé :
Avis de change du 17 décembre 1993 — art. premier. — Les entreprises exportatrices résidentes peuvent pour le soutien de leurs activités exportatrices, établir des bureaux de liaison et créer des filiales à l’étranger…
L’avis de change a ainsi ciblé exclusivement les entreprises exportatrices c’est-à-dire des entreprises disposant de revenus en devises au titre de leur activité et a fixé les droits à transfert en fonction du chiffre d’affaires réalisé en devises en distinguant la création de bureaux de la création de filiales y compris la prise de participation dans des sociétés étrangères existantes comme prendra le soin de le préciser la banque centrale dans sa circulaire aux banques n° 94-09 du 22 juin 1994 avant que le ministère des finances se décide à son tour d’autoriser ces prises de participations dans son avis de change publié près de 12 ans après.
En effet, le 18 janvier 2005, le ministère des Finances en annonçant un nouveau relèvement des plafonds des droits à transfert pour le financement d’investissements à l’étranger des entreprises exportatrices toujours afin de leur permettre de « soutenir leurs activités exportatrices » s’aligne sur la banque centrale et autorise à son tour les prises de participation au capital de sociétés établies à l’étranger comme s’il avalisait a posteriori le choix fait par la banque centrale. Le même avis de change introduit simultanément une innovation majeure en ce qu’il permet aussi aux
entreprises n’ayant aucune activité à l’étranger de pouvoir « soutenir leur présence à l’étranger » et d’ouvrir à cet effet des bureaux de représentation, de créer des filiales et de participer, également, au capital de sociétés établies à l’étranger.
Comme toute société exportatrice peut avoir une activité tournée vers le marché local, l’éventualité de cumuler les droits à transfert au titre de l’activité exportatrice et de l’activité « non exportatrice » a été anticipée par le ministre des Finances dans son nouvel avis afin de l’exclure de l’autorisation générale qu’il donnait dans son avis de change et soumettre par conséquent cet éventuel cumul à l’accord préalable de la banque centrale :
Avis de change du ministre des Finances du 17 décembre 1993 — art. 5. Le cumul des transferts au titre de la première section (celle relative aux investissements des entreprises exportatrices) et à la section 2 (celle relative aux investissements des entreprises non exportatrices) est soumis à autorisation préalable de la banque centrale de Tunisie.
De l’entreprise, exportatrice ou non, qui réalise des investissements à l’étranger, la seule condition exigée pour le transfert des devises sans autorisation préalable est la présentation de la déclaration aux services fiscaux du chiffre d’affaires réalisé l’année précédant celle du transfert afin de permettre de déterminer les droits à transfert.
Cette « contrainte » liée au mode de détermination des droits à transfert sera levée pour les entreprises disposant d’un compte professionnel en devises par un nouvel avis de change du ministre des Finances daté du 2 mars 2007. En effet, les entreprises exportatrices qui utilisent le produit de leurs exportations — et exclusivement le produit de leurs exportations — logé dans les comptes professionnels en devises pour financer leurs investissements à l’étranger à quelque titre que soit — bureaux de liaison, succursales, filiales et prises de participation dans des sociétés étrangères déjà établies cotées ou non — ne sont plus tenus par les quotas liés à leur chiffre d’affaires en devises, mais peuvent transférer l’intégralité des avoirs du compte, sous la réserve de l’origine des fonds ci-dessus mentionnée, sans pour autant dépasser un plafond fixé à 3 millions de dinars.
Avis de change du ministre des Finances du 2 mars 2007 — art. premier — les entreprises résidentes exportatrices peuvent effectuer des transferts au titre de ces investissements dans les limites des montants pouvant atteindre 3 millions de dinars annuellement dans le cas où elles financent ces investissements au moyen de déduction de devises provenant de l’exportation logées dans leurs comptes professionnels en devises.
La réserve faut-il le préciser permet d’éviter qu’une entreprise ne contracte, pare exemple, un crédit à l’étranger dont elle verse le produit dans son compte en devises — conformément aux dispositions de la circulaire n° 93-14 du 15 septembre 1933 telle que modifiée par la circulaire n° 99-05 du 19 avril 1999 — avant de le retransférer à l’étranger pour financer ainsi de façon indirecte, avec un endettement comptabilisé en tant qu’un engagement de la Tunisie, un investissement à l’étranger que l’entreprise n’était pas en mesure de financer avec ses recettes propres en devises.
Circulaire n° 93-14 du 15 septembre 1933 telle que modifiée par la circulaire n° 99-05 du 19 avril 1999 — II — Conditions de fonctionnement — A — Opérations au crédit — 1°) Ces comptes [les comptes professionnels en devises]peuvent être crédités sans autorisation préalable :
a) — de 100 % des devises provenant des exportations de l’entreprise résidente titulaire du compte ainsi que des emprunts en devises contractés par ladite entreprise conformément à la réglementation des changes en vigueur…
La possibilité donnée aux entreprises de pouvoir utiliser les fonds de leurs comptes en devises sans prise en compte de leurs chiffres d’affaires n’excluait pas que les montants des transferts au titre des financements d’investissements pouvaient provenir à la fois des droits calculés par référence aux chiffres d’affaires auxquels s’ajouteraient les fonds disponibles dans les comptes en devises. La possibilité a pu être mise à profit ou non par des entreprises. Toujours est-il que la banque centrale mettra fin à cette possibilité de cumul dans sa circulaire n° 2009-9 du 4 mai 2009 en précisant :
Circulaire n° 2009-09 du 4 mai 2009, art. 2 :… il ne peut être fait de cumul entre les montants transférables en fonction du chiffre d’affaires en devises déclaré à l’Administration fiscale selon le barème fixé ci-dessus et les montants transférables par imputation sur les comptes professionnels en devises.
En 2004, suite aux divers relèvements des plafonds introduits depuis 1993, les droits à transferts au titre des investissements à l’étranger des entreprises résidentes sont résumés dans le graphe suivant :
La présentation des caractéristiques quantitatives du dispositif fera l’objet d’un prochain post dans cette section des forums
Évaluation du processus d’octroi de l’autorisation générale de transferts de devises liés aux investissements à l’étranger des entreprises résidentesLes opérations portant création de filiales, succursales et bureaux de liaison à l’étranger ou pour l’achat d’actions de sociétés établies à l’étranger ne figurent pas parmi les opérations dites « courantes » prévues par l’article premier (nouveau) du code des changes et listées à l’article 12 bis du décret n° 77-608 du 27 juillet 1977. Par conséquent, ces opérations ne peuvent être effectuées que sur autorisation générale du ministre des Finances en vertu des dispositions du second paragraphe de l’article premier du code des changes. De plus, ne s’agissant pas d’opérations courantes, les transferts y afférents sont tous soumis à autorisation conformément aux dispositions de l’article 28 (nouveau) du décret 77-608 susvisé.
Le ministre des Finances et la banque centrale de Tunisie ont appliqué, globalement, chacun en ce qui le concerne, les dispositions ci-dessus rappelées et on peut considérer que la collaboration entre les deux acteurs en la matière est un
bon exemple d’application des modalités prévues par le législateur pour autoriser des opérations qui ne figurent pas parmi les opérations courantes. Il reste cependant quelques divergences d’interprétation où, tantôt la banque centrale « autorise » davantage que le ministre n’a autorisé —
les participations — tantôt le ministre des Finances permet implicitement des transferts plus élevés que ceux que la banque centrale retiendra en définitive —
en excluant les cumuls des droits à transfert calculés par référence aux chiffres d’affaires et les droits à transfert issus du recours aux comptes professionnels. En toute rigueur, ces situations sont contraires à la réglementation mais, aujourd'hui, il n'est pas question de s'y attarder. Il y a a plus important.
Évaluation des conditions d’éligibilité et du contenu de l’autorisation générale du ministre des Finances Mon évaluation sera basée sur les critères d’éligibilité aux transferts effectués dans le cadre de l’autorisation générale du ministre des Finances et en particulier du dernier avis en date en cours d’application. Un commentaire y sera consacré. En vous abonnant à ce message, vous pourrez être informé, si vous le souhaitez, dés sa mise en ligne.
Évaluation de l’impact du dispositif mis en place pour le transfert, par les entreprises résidentes, des « investissements à l’étranger » en vertu d’une autorisation générale.Tant du Compte capital que de la Position extérieure globale nette, l’analyse des autorités et notamment celle de la banque centrale dans son rapport annuel et dans son rapport sur la balance des paiements, est focalisée sur les flux entrants — une analyse des passifs nets. Il arrive même que des montants rigoureusement nuls, celles des participations, soient publiés dans le rapport de la balance des paiements. Sans aucun doute, les montants ainsi publiés sont nettement minorés et ne reflètent nullement la réalité. J’y reviendrais dans un commentaire séparé pour soulager ce commentaire qui commente à prendre une envergure bien supérieure à celle que j’envisageais. En tout état de cause, faute de données fiables publiées et de commentaires pertinents,
il semble difficile, voire impossible, pour un observateur tiers et indépendant de pouvoir juger le dispositif des investissements effectués à l’étranger par des entreprises résidentes sur la base des réalisations depuis son instauration en 1994 ni de connaître la valeur actuelle du montant net des investissements cumulés effectués au cours des trente dernières années ni des revenus tirés ou de leur impact sur la situation de la balance des paiements.
ConclusionNon,
ce n’est pas comme on aurait pu le croire, le cinquième objectif assigné par le chef du gouvernement à l’abrogation/modification du code des changes dans son communiqué du 18 mars 2024 n’est pas de faire croître les investissements directs étrangers en Tunisie, leur contribution à résoudre les problèmes des Tunisiens dont:
- la résorption du chômage des jeunes tunisiens — 16,4 % au quatrième trimestre 2013
- l’amélioration de la croissance — (moins) -0,2 % au quatrième trimestre 2023
- ou de réduire le déficit courant — (moins) -1,3 milliard de dinars pour la balance commerciale au mois de mars 2024,
mais, il s’agit d’allouer une partie des réserves en devises du pays dont une partie est constituée d’emprunts, d’aides et de dons étrangers pour :
- Aider les pays étrangers — en retour ? — à réduire le chômage, y employer davantage d’étrangers grâce aux devises de la Tunisie voire, pourquoi pas, afin d’employer les jeunes tunisiens qui y ont émigré à trouver un emploi que la modicité des investissements locaux ne leur auront pas permis d’occuper, les fonds qui auraient pu y être consacrés se seront expatriés eux aussi grâce aux autorisations accordées non plus à titre particulier, mais à titre général par les autorités
- Aider les pays étrangers avec les devises de la Tunisie et permettre d’y créer de la richesse
- Aider faute de comptes-rendus et de justification des investissements et de rapatriements dûment constatés et analysés certains entrepreneurs qui à défaut de bonne foi, auront légalement constitué des avoirs à l’étranger voire auront contourné les dispositions légales et fiscales du pays qui leur a permis de les créer, ces richesses expatriées au même titre que les jeunes auxquels finalement elles auront été soustraites quasi légalement.
Non,
le code des changes ne devrait pas permettre d’aller plus avant et certainement que le gouvernement en est conscient.
Mais, au fait
est-il nécessaire de recourir à une modification du code de change pour permettre que des avoirs qui manquent cruellement au développement du pays continuent à lui manquer davantage ou au contraire que ces avoirs servent prioritairement la Tunisie quand celle-ci en a le plus besoin et que l'étranger si prompt à l'aider s'est finalement dérobé et l'a laissée se démener et compter sur ses propres ressources ... ou ce qu'il en reste ?
Non,
qu’il s’agisse de permettre de transférer davantage des avoirs tunisiens pour des investissements à l’étranger ou au contraire de réduire ces flux pour qu’ils servent d’abord les Tunisiens et la Tunisie,
le code des changes n’est pas requis, n’est plus requis.
Ce sont les avis de change du ministre des Finances et les circulaires de la banque centrale qui désormais, par la force de la loi autorisent les exportations de capitaux aux fins de financements des investissements à l’étranger par des entreprises résidentes qui depuis 2005 ne sont même plus tenues d’investir dans leurs propres domaines d’activités et par des entreprises résidentes qui n’ont aucune activité à l’étranger ou avec l'étranger, mais qui investissent des avoirs tunisiens à l’étranger sans être tenues a priori de contribuer à améliorer la situation de la balance des paiements et en réduire le déficit et, même ne sont pas tenues de réduire le solde de la balance des invisibles à travers l’obligation de réaliser des investissements de nature à générer des revenus et les rapatrier dans des délais minima préfixés !!
Non,
- en l’absence de statistiques permettant de connaître les avoirs détenus à l’étranger par les entreprises suite aux transferts effectués dans le cadre de l’avis de change du ministre des Finances du 17 décembre 1993 tel qu’il a été modifié par les quatre avis qui ont suivi,
- faute de l’établissement d’une balance devises des transferts en devises et des revenus rapatriés et du rapatriement des désinvestissements éventuels réalisés aux cours des trente dernières années,
- et tant que la situation économique du pays sera différente de celles des années où les dispositions d’encouragements des investissements à l’étranger ont été prises et pour mettre fin à l’économie de rente qu’ont imposés des entrepreneurs avant la révolution de 2011,
il est plutôt indiqué de décréter un moratoire immédiat sur les investissements à l’étranger et soumettre les éventuelles exceptions requises au regard des réglementations étrangères des pays où des investissements ont eu lieu, à autorisation.
Non,
Monsieur le chef du Gouvernement, aujourd’hui il ne saurait être question de « Mieux aider les entreprises tunisiennes à s’internationaliser et à créer de la richesse … à l’étranger » mais dans une adaptation intelligente des réglementations aux circonstances et situations du pays afin de mieux exploiter les richesses de la Tunisie en Tunisie et pour la Tunisie, il est recommandé que
Oui,
les avis du ministre des Finances et de la banque centrale autorisant à titre général les transferts de devises au titres d'investissement à l'étranger selon les conditions arrêtées actuellement soient immédiatement suspendus jusqu’à nouvel ordre.,
le code des changes qu'il amendé ou non, est une autre question à la limite moins prioritaires que celle consistant à financer peu ou prou les économies étrangères dans un espoir qu'à terme les investisseurs tunisiens et le pays en tirera avantage. Les urgences sont bien ailleurs et une nouveau constat de croissance trimestrielle négative consécutive fera de la Tunisie, en récession, techniquement.