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La qualité d'assab, source de la discrimination entre les genres selon la COLIBE

Jamal

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  • Sexe: Homme
  • L'expérience, c'est le nom que chacun de nous donne à ses erreurs passées. Oscar Wide
Dans notre précédent commentaire, on avait rapidement examiné les raisons pour lesquelles, selon la commission, il était nécessaire de procéder à une modification du droit des successions en vigueur en Tunisie afin de supprimer les discriminations entre les hommes et les femmes — motifs légaux et sociologiques — comme si, a contrario, n’eussent été ces raisons, les discriminations auraient pu être maintenues. Maintenant qu’elle considère avoir énoncé la justification des changements, la Commission, va tenter, d’identifier les causes, l’origine, la source des discriminations successorales auxquelles elle consacre une section aux pages 173-174 dont elle fournit une synthèse et un complément à la page 206 de son rapport :
 « الأنثى الوارثت لست أبدا عاصبة بنفسها ».

Selon la commission, l’origine principale des inégalités dont pâtissent les femmes est l’octroi de la qualité d’assab exclusivement aux hommes or, comme cette catégorie dispose les droits les plus importants en matière de succession, les hommes obtiennent conséquemment des parts successorales plus importantes que celles des femmes.

Ainsi énoncée, cette formulation aux allures de démonstration, mais qui en fait s’analyse en une tautologie voire une évidence, serait donc la clef permettant de supprimer les discriminations successorales : supprimer la qualité d’assab ou éliminer l’exclusivité devraient en toute logique faire disparaître les discriminations !
Oui, pourrait-on penser.
Sauf que formés à partir d’assertions incomplètes ou erronées, la conclusion et le constat le sont tout autant et la source de la discrimination n’est nullement liée à l’existence ou à l’octroi exclusif aux hommes de cette qualité d’assab. Ce second post va esquisser une démonstration dans les limites permisses par les contraintes des forums en attendant la publication ultérieure d’un article sur la question.

À la page 206, dans sa synthèse, le rapport de la COLIBE reproduit l’opinion communément admise par plusieurs islamologues au sujet du droit des successions :
Citer
فلسفة العصبة هي حصر التركة قدر الإمكان في  العاءلة الذكورية. أم الأنثى فيجب أن يكون نصيبها من التركة في غالب الأحيان أقل من نصيب الذكور لتقليص نسبة التركة التي تخرج عن العا ءلة الذكورية لتذهب للغير.
On pourrait regretter qu’en reproduisant cette littérature, la commission ait rapporté une analyse qui a porté sur le système prévalant à l’époque préislamique pour l’appliquer au système qui a été instauré après la révélation des versets de la Sourate des Femmes et que l’on retrouve dans les dispositions actuelles du Code du statut personnel. Cette démarche ne serait pas bien différente de celle qui consisterait à affirmer que le Coran n’a rien apporté pour réduire les inégalités entre les hommes et les femmes en matière de droits de succession puisque la commission retient les critiques formulées au sujet du système qui a prévalu avant l’avènement de l’Islam pour les appliquer sans aucun avertissement, atténuations ou réserves au nouveau système qu’il a introduit et que la commission se propose d’amender. Si la démarche est volontaire, elle pourrait être interprétée en tant qu’une hérésie et une tentative de tromper, porter atteinte à l’apport de l’Islam que mêmes les auteurs étrangers ont unanimement reconnu, mais que la Commission, par omission volontaire ou non, dénie, oublie, renie. Le rapport de la Colibe en intégrant une critique émise par des auteurs étrangers non-musulmans et insuffisamment versés dans le droit des successions ou qui l’évaluent selon les critères et ceux de leurs systèmes successoraux contemporains sans même se référer à leur évolution ou aux systèmes anciens qui ont prévalu dans leurs pays et régions, s’interdit de rechercher les vraies causes des inégalités entre les femmes et les hommes dans le droit musulman des successions en général et celui amendé par le code su statut personnel à plusieurs reprises depuis sa promulgation pour réduire ces inégalités entre autres, en particulier.

Le rapport énonce dans sa synthèse à la page 206 encore, que les droits de succession sont déterminés selon la force de l’héritier — قوَّة الوارث — cette notion n’existe pas dans le droit musulman des successions. Il précise ensuite que cette force tient à sa qualité d’assab — العصبة. Cette affirmation est fausse. En effet, les héritiers assab sont ainsi définis dans la littérature du droit musulman sunnite — et donc malikite tel que plus ou moins bien reproduit dans le code du statut personnel tunisien — pour représenter la contrepartie des héritiers à fardh dont les parts sont stipulées dans le Coran. Le fait qu’un héritier soit assab ne lui donne pas, au titre de cette qualité, plus de droits qu’un héritier à fardh au contraire. D’ailleurs il arrive que plusieurs héritiers assab soient purement et simplement exclus de la succession par les héritiers à fardh car, ces derniers étant prioritaires épuisent la succession et il ne leur reste rien à s’allouer. Et c’est l’évidence même, s’ils sont seuls, ils héritent de la totalité de la succession puisque dans ce cas le reliquat de la succession se confond à la succession elle-même et ce n’est pas par hasard que certains commentateurs ont assimilé, peut-être un peu maladroitement, les héritiers assab aux héritiers « résiduels », qualification que se garde bien d’évoquer la Commission qui lorsqu’elle rappelle les dispositions de l’article 114 du CSP, a préféré retenir l’autre traduction donnée à la qualité assab : des héritiers « universels ».

Une étude, en cours de publication, établit statistiquement que, dans la version originale du code du statut personnel, l’importance relative des droits des successions — est établie, dans l’ordre, par quatre critères :
  • le degré de parenté,
  • la force du lien de parenté, 
  • la nature du lien de parenté et en dernier lieu
  • le sexe de l’héritier.
La même étude établit également que :
  • -   le sexe de l’héritier est le critère explicatif qui est significativement le plus faible permettant d’expliquer l’importance relative de la part d’un héritier
  • -   On ne peut affirmer que le groupe des héritiers à fardh prime celui des héritiers « assab ni le contraire d’ailleurs. L’exception constituée par le conjoint qui hérite toujours avec la qualité d’héritiers à fardh quel que soit son sexe, ne permet pas de classer les deux grandes catégories d’héritiers.
Toutefois, dans la logique de la commission qui vise à imputer l’origine de la discrimination à l’octroi de la qualité assab aux hommes, l’étude établit que “les deux catégories obtiennent quasiment des parts égales dans les successions partagées selon les dispositions du code du statut personnel tunisien actuellement en vigueur.

En effet, les parts des héritiers résultent en fait d’une interaction complexe entre les pouvoirs d’exclusion qu’exercent les héritiers les uns par rapport aux autres et ne résultent pas de leur statut de fardh ou d’assab comme la COLIBE le relève. Il suffit de rappeler que dans certains droits musulmans, la notion de assab n’existe pas et pourtant, l’égalité dans les successions n’est pas assurée pour autant. En outre, la qualité d’assaba n’a jamais été évoquée dans le Coran.
Et, si les droits des parents et alliés de sexe masculin comparés à ceux de leurs équivalents de sexe féminin n’a aucune relation avec l’attribution de la qualité d’assab, c’est en fait l’application du privilège de masculinité qui est la principale manifestation de l’inégalité entre les sexes. Cette règle énoncée dans le Coran prévoit :
  •    lorsque les deux sexes participent simultanément au partage — l’octroi d’une part moitié moindre à l’héritier de sexe féminin
  •    lorsque les deux héritiers ne peuvent être présents simultanément au partage comme dans le cas de l’épouse et du mari, des parts fardh prédéterminées.
Mais, il s’agit d’une simple manifestation, d’une évidence au premier degré qui ne peut, en dehors d’une analyse être considérée comme étant la source des discriminations dès lors que celle-ci ne se mesure pas à l’échelle des successions et des partages individualisés, mais pour l’ensemble des héritiers dans toutes les successions. Et, là, il n’est pas évident que les parts attribuées, par exemple aux filles et sœurs de ½ et de 2/3 en application du Coran ne compensent pas, au moins en partie, les conséquences des partages à raison d’une part pour la fille contre deux parts pour les garçons. La commission se garde bien d’évoquer le privilège de masculinité en raison du peu de références scientifiques et d’analyses publiées et a retenu, les développements classiques des auteurs et commentateurs. En anticipant sur les publications à venir, on peut énoncer que les parts fardhs, relativement importantes en soi attribuées aux filles et sœurs lorsqu’elles ne sont pas associées aux fils et frères, compensent près de la moitié des avantages qu’obtiennent ces derniers.

Enfin, sans anticiper sur les conclusions et recommandations de la commission, celle-ci ne fera cependant aucune recommandation afin de modifier ou d’intervenir sur le statut d’assab des hommes afin de supprimer la discrimination que subissent les femmes. Ceci achève de démontrer que la source de l’inégalité est ailleurs et l’incohérence de l’analyse de la commission qui évoque une cause de discrimination sans pourtant s’attacher dans ses propositions à la supprimer ou en atténuer les effets directement.

Malgré la paucité et l’innocuité des “insuffisances” ainsi relevées, la commission va quand même développer une série de propositions tendant à supprimer les “discriminations” dont font l’objet les héritiers de sexe féminin dans le code du statut personnel tunisien. Sur un plan strictement scientifique, il aurait suffi de démontrer la fausseté des prémisses pour conclure à la fiction des conclusions et propositions cependant, chacune des propositions que formule la commission sera disséquée et critiquée et bien sûr rapportée aux objectifs visés à savoir l’instauration d’une égalité entre les héritiers.

« Modifié: 12 août 2018, 08:56:11 pm 20:56 par Jamal »
C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. (De Montesquieu / De l’esprit des lois)

 

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