Nous avons choisi de regrouper ici quelques autres recommandations, plus techniques que celles qui ont été formulées dans la première partie. Leur nombre aurait pu être bien plus élevé[i]. Mais, en les multipliant, le risque était grand de nous détacher du cadre d'une analyse que nous avons voulue globale. Nous demeurons toutefois convaincus que les services des différents départements, organismes, institutions et administrations sauront décliner ces recommandations et celles déjà présentées dans la première partie dans le cadre de la réalisation du programme présidentiel.
Voici les cinq recommandations:
L'accès aux services bancaires de base
À mesure de l'amélioration des conditions de vie de la population, le droit aux services bancaires devient un besoin essentiel et constitue en lui-même un moyen d'insertion dans la vie économique moderne. La recherche, légitime, des résultats par les banques en réponse parfois aux exigences de leurs actionnaires[ii], se traduit souvent par l'exclusion des personnes les plus modestes et les moins éduquées. Ainsi, les catégories à faible revenu ne disposent généralement pas de comptes soit par suite du refus des banques soit en raison des barrières constituées par l'importance relative des frais financiers de tenue de compte. Les banques, tout comme les sociétés de service public qui disposent du privilège de l'exploitation et de la production d'une ressource naturelle, se doivent aussi de garantir un service minimal, elles qui génèrent et exploitent une ressource créée par l'homme, l'argent et dont la réglementation a organisé le monopole de gestion par ces banques. Les autorités devraient donc inclure dans la loi le droit aux services bancaires de base en permettant à tout résident de disposer d'un compte et d'effectuer des opérations de règlements courants[iii] [iv].
Dans un avenir que nous anticipons très proche en Tunisie, les développements issus de la technologie rendront ce problème encore plus crucial. Aussi, les autorités devraient poursuivre et renforcer davantage les moyens de développer l'accès le plus large possible aux nouveaux moyens de communication et de transaction[v].
L'indemnisation des déposants
Avec le développement souhaité d'un marché concurrentiel, l'incitation à la bancarisation de l'économie et le développement de l'épargne tant bancaire que financière, la mise au point de nouveaux produits comportant, peut-être, des risques plus élevés, l'accélération de la mise en place d'un système d'indemnisation des dépôts et des assurances s'impose[vi]. Que les autorités fournissent ou non un soutien pour les institutions connaissant des difficultés, les déposants et les épargnants peuvent légitimement prétendre à un recouvrement minimum de leurs avoirs en cas de défaillance d'une institution financière insolvable[vii]. Au-delà de l'impact psychologique que comporte la mise en place d'un tel système sur certaines catégories de déposants, l'examen d'un système d'indemnisation pourrait aller de pair avec un assouplissement relatif de la supervision bancaire et financière. Il permettrait aussi d'apporter le soutien nécessaire aux institutions connaissant des difficultés temporaires, avec l'aide, en cas de nécessité, des autres établissements financiers et, en dernier recours, de l'État. Différentes modalités pourraient être étudiées dont celle consistant à créer une société d'assurances-dépôts[viii]. Dans ce cas, l'assurance-dépôts sera financée par les primes perçues sur les dépôts assurés des institutions adhérents au système d'indemnisation[ix]. Les taux des primes seront différenciés en fonction de critère pris à la discrétion des autorités en fonction de la qualité de la gestion de chaque établissement, du degré de risque des opérations qu'il effectue et de son respect des règles prudentielles[x].
La rémunération des dépôts et l'assouplissement des conditions de banques
Les banques ne peuvent rémunérer librement les comptes à vue. Cette disposition affecte principalement les titulaires de petits comptes qui n'ont pas la possibilité de conclure avec leurs banques des conventions de placement automatique de l'excédent de leur liquidité à partir d'un seuil déterminé et qui s'analysent en fait comme une technique de rémunération permanente des comptes à vue. Sa levée pourrait contribuer en outre à amorcer une concurrence entre les banques[xi] qui profitera à celles d'entre elles qui sont en mesure de contenir leurs frais généraux ou qui mettront en place des systèmes de gestion et de tenue de compte peu coûteux[xii].
La levée de l'interdiction de la rémunération des dépôts à vue à des taux librement déterminés entre la banque et son client permettra de généraliser à tous les produits la liberté dont dispose les banques dans leur tarification. Il est vrai toutefois que cette liberté est un peu restreinte dans la mesure où c'est l'autorité de tutelle des banques fixe la nomenclature des produits et des tarifs[xiii]. Cette réglementation qui visait à développer la concurrence entre les banques a montré quelques limites[xiv]. L'examen des résultats des banques permet aujourd'hui de constater que des banques, tout à fait « ordinaires », ont pu dégager des résultats surprenants en décidant d'appliquer tout simplement les marges et tarifs des banques les moins performantes. Ainsi ces banques ordinaires, donc relativement saines, capables d'innover et de se développer au profit de leur clientèle et du pays ont choisi de conserver de limiter leur expansion et de « capitaliser » sur la situation des banques les moins performantes en s'arrogeant leurs marges et commissions[xv]. Cette situation illustre en fait la difficulté, pour l'autorité de tutelle des banques et pour l'administration, de permettre aux banques de se livrer à une saine concurrence tout en préservant la solidité et la sécurité du système financier. Cependant, le réexamen de ces dispositions dans le cadre d'une approche globale lui permettra, à notre avis, de trouver les solutions idoines.
La réglementation des changes
Instituée en Tunisie en même temps que dans plusieurs autres pays de la zone franc, la réglementation des changes devait permettre d'asseoir l'effort de reconstruction de la France et des pays sous sa tutelle ou occupation au sortir de la seconde guerre mondiale. Si par la suite la Tunisie quittera la zone franc et si à l'effort de reconstruction se substituera l'effort de développement, la réglementation des changes sera quand bien même maintenue, renforcée , puis assouplie pour ne constituer aujourd'hui par suite d'un mouvement de flux et reflux des droits qu'une simple mosaïne de mesures. Avec les importantes concessions au principe général de prohibition et d'interdiction accordées tout naturellement aux entreprises pour leurs besoins de développement à l'étranger, la réglementation des changes a, de fait, perdu son esprit même. Et c'est tant mieux ainsi car aujourd'hui il est bien plus aisé d'établir la liste des opérations encore soumises à un contrôle que d'établir la liste des opérations autorisées.. Mais, demeure en vigueur une pléthore de textes et de dispositions[xvi] parfois uniquement accessibles aux spécialistes qui ont tôt fait de « protéger » la matière d'une véritable réforme en adéquation avec les développements qu'a connues l'économie tunisienne et l'élévation du niveau de vie du tunisien. Avec la mondialisation, les accords d'association et la nouvelle « politique de voisinage », les pressions seront telles qu'inéluctablement la réglementation des changes de la Tunisie ne pourra que s'assouplir davantage. Plutôt que de subir cette évolution, les autorités pourraient dans le cadre de la réalisation du programme présidentiel anticiper la refonte de cette réglementation en n'ayant plus pour principaux objectifs que de respecter nos engagements internationaux en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme d'une part et de faire respecter les obligations fiscales des entreprises et ménages tunisiens d'autre part[xvii].
Les moyens de la réforme
Non pas celle de la réglementation des changes mais celle de tout le système des services financiers telle que nous avons essayé d'en définir les contours depuis notre première contribution. Celle-ci, nous semble-t-il, comporte plusieurs défis, remises en cause et anticipations parfois trop hardies et si ce n'est sur le fonds, sur la forme et la manière dont nous les avons présentées. La constitution à cet effet d'un groupe de travail national qui aura pour mission d'établir un rapport des recommandations permettant la mise en Å“uvre du programme présidentiel et devant aboutir à la mise en place d'un secteur financier solide, fiable, innovateur et concurrentiel au service de l'économie tunisienne et des tunisiens.
Doté de moyens appropriés, ce groupe de travail pourrait commander des études et solliciter les contributions de toutes les parties concernées qu'il appréciera, à la lumière de son mandat, en toute indépendance en vue de soumettre ses recommandations au Président de la République : les banques et la Banque Centrale, les SICAV, SICAR, les assurances et agents d‘assurances, leurs associations et regroupements, les intermédiaires en bourse, les sociétés de crédit-bail, les universitaires, les avocats, l'UTICA et les chambres de commerce, la FIPA, les experts comptables, l'ODC etc.
À la veille du premier anniversaire de l'annonce du programme présidentiel, les travaux du groupe de travail pourraient être achevés et l'examen de la mise en place de ses recommandations entamé[xviii].