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Auteur Sujet: La manifestation des discriminations entre les genres selon la COLIBE  (Lu 7131 fois)

Jamal

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La manifestation des discriminations entre les genres selon la COLIBE
« le: 09 juillet 2018, 11:45:27 pm 23:45 »
Après l’examen de l’argumentaire de la COLIBE justifiant de la nécessité de modifier le droit des successions au regard de considérations d’ordre légal et sociétal – pages 176 à 180 du rapport – puis sur la cause des discriminations dont font l’objet les héritiers de sexe féminin qui serait liée selon la COLIBE à l’octroi de la qualité d’assaba exclusivement aux héritiers de sexe masculin, nous abordons dans ce troisième post deux autres « manifestations » des discriminations selon la COLIBE :
  • les parts attribuées aux héritiers de sexe féminin ne sont jamais supérieures à celles des hommes – page 174-175 du rapport,
  • des parents de sexe féminin ou liés au de cujus par des femmes n’ont aucun droit de succession – pages 175-176 du rapport

Les parts des hommes sont supérieures à celles des femmes
La commission a établi que l’écrasante majorité des situations comportant des héritiers de sexe féminin associent les filles, la mère, l’épouse et les sœurs. Comparé à la liste des héritiers de sexe féminin prévue dans leCode du statut personnel, on constate que n’ont pas été retenues dans le recensement de la COLIBE les grands-mères paternelles et maternelles soit seulement deux catégories d’héritiers sur les huit catégories qui comportent des héritiers de sexe féminin. Sachant que les deux grand-mères n’héritent qu’en l’absence de la mère et disposent de parts identiques aux siennes, on peut considérer en fait que la Commission n’a pas recensé les cas les plus fréquents, mais a recensé la totalité des cas pour illustrer les discriminations liées au genre dans le code du statut personnel. Il est à noter que la commission atténuera son appréciation de l’importance relative des quatre cas qu’elle se propose d’examiner en priorité en la qualifiant de majoritaire  –  page 180 الصور الغالبة  – alors qu’ici elle estime qu’il s’agit de la majorité écrasante  –  page 180 الغالبة الساحقة  –
Pour les situations ainsi recensées, la Commission a ensuite identifié les discriminations qu’on y rencontre pour établir le constat suivant :
  • dans quatre cas, l’héritier de sexe masculin obtient une part double de celle de l’héritier de sexe féminin. Ainsi, les fils, les frères, le mari et le père obtiennent toujours une part double de celles des filles, des sœurs, de l’épouse et de la mère étant précisé que s’agissant de la mère, sa part est moitié moindre de celle du père en l’absence d’un descendant.
  • le cinquième cas est précisément celui de la mère en présence d’un descendant et du père qui alors obtient une part égale à celle du père soit 1/6 de la succession.
Ainsi dans un seul cas un héritier de sexe féminin obtient une part égale à celle d’un héritier de sexe masculin et dans quatre autres cas, la part de l’héritier de sexe masculin est supérieure à celle de l’héritier de sexe féminin ; elle est même du double.

Cette présentation formulée en tant qu’un simple constat est en fait une sombre manipulation de la réalité et, le lecteur, les destinataires du rapport et en particulier le Président de la République qui en est le premier récipiendaire seront tous abusés et pourraient croire que systématiquement tous les héritiers de sexe féminin sans exception sont défavorisés par rapport aux héritiers de sexe masculin qui dans la situation qui leur est la moins favorable obtiennent une part égale à celle de leur équivalent de sexe féminin sinon, et dans tous les autres cas leurs parts sont supérieures. Démontrons-le.

La commission a, dans sa présentation, retenu deux types de situations :
  • -   celles où les héritiers des deux sexes représentant une même catégorie sont simultanément présents (celles des filles, des sœurs, des parents). Dans cette situation, il est fait :
    •    application du privilège de masculinité entre héritiers assabs (« assabs par eux-mêmes » pour les frères et les fils et « assabs par un autre », pour les filles et les sœurs) consistant à octroyer aux héritiers de sexe féminin une part moitié moindre que celles des héritiers de sexe masculin ou
    •    application de la part fardh de 1/3 à la mère et attribution du reliquat soit les 2/3 au père
  • -   celles où les héritiers des deux sexes représentant une même catégorie ne sont pas simultanément présents. Cette situation est illustrée dans les exemples présentés par la COLIBE par le cas du conjoint qui héritant l’un de l’autre ne peuvent être simultanément présents dans une même succession. Pour le conjoint, effectivement, les parts fardh explicitement prévues dans le Coran prévoient une part double pour le mari – ½ ou ¼- comparée à celle de l’épouse – ¼ ou 1/8.
Mais quid des cas où à l’instar de la situation de l’épouse et du mari qui ne sont pas associés au partage d’une même succession, se présentent des filles uniquement, des fils uniquement, des frères uniquement ou des sœurs uniquement. Dans de telles configurations se pourrait-il que la part de ½ ou de 2/3 attribuée aux filles et aux sœurs selon les prescriptions coraniques soient supérieures à celles qu’obtiennent les fils et les frères. La commission ni ne cite, ni n’envisage cette éventualité, car, probablement tout l’édifice qu’elle essaye de construire avant de formuler ses propositions s’effondrerait.
Et pourtant ces situations existent bel et bien et au comptage, leur nombre est très largement supérieur à celui des situations que la COLIBE a identifié pour illustrer les situations où les héritiers de sexe féminin sont « lésés » comme elle l’a affirmé.

Considérons le cas des fils et des filles qui, sans difficulté, peut être étendu aux autres héritiers.
   Soit une succession où après élimination des autres cohéritiers éventuels, sont retenus au partage une mère, un père, un mari et un fils ou une fille. S’il s’agit d’un fils, celui-ci aura droit à une part de 5/12, car selon les prescriptions coraniques la part de la mère est de 1/6, celle du père de 1/6 également et celle du mari de 1/4. La somme de ces trois parts est donc de 7/12 d’où un reliquat pour le fils de 5/12.
   S’il s’agit d’une fille unique, elle aurait droit à une part fardh de 1/2. En additionnant cette part à celles des autres héritiers, qui demeurent par ailleurs inchangées qu’il s’agisse d’un fils ou d’une fille, on obtient un total de 13/12. Après réduction à l’unité, la part effective de la fille sera de 6/13.
   Ainsi, dans une même configuration de cohéritiers, la part de la fille est supérieure à celle du fils : 6/13 pour la fille contre 5/12 pour le fils.
   Si au lieu d’une fille, il y avait eu deux filles appelées et au lieu d’un fils deux fils appelés, la part par tête d’une fille sera toujours supérieure à la part par tête d’un fils. En effet, pour les fils qu’il y en ait un, deux ou plusieurs, la part totale du groupe sera toujours de 5/12. Celle-ci sera partagée selon les fils. La part de chacun des deux fils est donc de 5/24. Pour les filles par contre, les droits seront de 2/3 au lieu de 1/2. La part effective de deux filles sera de 8/15 soit 4/15 pour chaque fille. Ainsi, la part, par tête, d’une fille est supérieure à celle d’un fils. Graphiquement cette situation est illustrée comme suit :

   Nous pouvons aussi prendre un autre exemple où la situation n’est pas aussi tranchée, mais qui permet de montrer que sur un grand nombre de successions, la part du fils n’est pas toujours supérieure à celle de la fille et en tout cas, qu’elle ne correspond pas toujours à une part double de celle de la fille.

Exemple 2
   Soit une succession où après élimination de tous les autres cohéritiers éventuels, ne sont retenus au partage qu’un mari, une mère et un fils ou une fille.
   Considérons d’abord le cas d’un fils. Sa part qu’il soit seul ou qu’il y en ait plusieurs est de 7/12. Elle correspond au reliquat que laissent le mari et la mère dont les droits respectifs sont de 1/4 et de 1/6. Ainsi un fils unique aura droit à 7/12, deux fils à 7/24 pour chacun d’eux et trois fils à 7/36 par tête et ainsi de suite.
   Dans le cas d’une fille unique dont la part déterminée est de 1/2, la succession ne sera pas épuisée par suite du prélèvement des parts de tous les héritiers à fardh et chacun d’eux bénéficiera du droit de retour (radd). Tous calculs faits, la fille unique aura droit à une part de 6/11. Il apparaît donc que pour cette configuration de cohéritiers, la part du fils unique [7/12] est supérieure à celle de la fille unique [6/11]. Soit. Portons maintenant le nombre de filles appelées de 1 à 2. On sait déjà que la part d’un fils quand deux fils sont appelés concomitamment est 7/24. Calculons la part d’une fille quand deux filles sont appelées. Celles-ci ont droit à une part déterminée de 2/3. Compte tenu des parts de la mère et du mari, le total des parts fardh s’élèvera à 13/12 qu’il faudra ramener à l’unité. La part des deux filles sera de 8/13 soit 8/26 pour chaque fille. Et, les proportions sont inversées : la part d’une fille devient supérieure à celle d’un fils quand deux enfants sont appelés. Cet ordre sera maintenu si l’on augmente le nombre de fils et de filles.

   Schématiquement, nous aurons la représentation suivante :
 

Toute la question maintenant est de savoir si les situations où les filles et les sœurs obtiennent une part supérieure à celle des fils et des frères leur permettent de « récupérer » les parts qu’elles « cèdent » aux fils et aux frères lorsque ensemble appelées à partager avec ces derniers n’obtiennent que la moitié de ce qui est attribuent à ces derniers. On y reviendra à l’occasion de l’examen des propositions formulées par la commission étant entendu d’ores et déjà que si la compensation n’est que partielle, la suppression du privilège de masculinité aboutira à instaurer une discrimination nouvelle celle qui va cette fois-ci bénéficier aux filles au moment où la commission s’assignait pour objectif d’obtenir l’égalité entre les héritiers quelque soient leurs sexes.

L'exclusion des parents par les femmes

La seconde manifestation de la discrimination que relève la commission est celle qui dans le code du statut personnel aboutit à l’exclusion de plusieurs parents par les femmes : les tantes, leurs descendants, les filles des filles, les oncles maternels, etc. Effectivement, le Code du statut personnel qui a pratiquement reproduit les dispositions en vigueur dans le rite malikite a maintenu malgré les assouplissements l’exclusion de cette catégorie d’héritiers alors que les auteurs malikites après les avoir eux aussi exclus les ont intégrés par préférence au Trésor. Cette disposition reste un anachronisme spécifiquement tunisien, car par ailleurs, le droit de retour ou radd qui bénéficie aux héritiers présents par préférence au Trésor a été introduit dans le droit successoral tunisien.
Oui, effectivement, l’intégration de cette catégorie d’héritiers aurait pu être envisagée. La COLIBE le proposera-telle ? La question sera là aussi examinée lorsque nous aborderons l’analyse des recommandations de la commission dans un prochain post.

À suivre
« Modifié: 03 mars 2019, 05:15:01 pm 17:15 par Ibn Haldoun »
C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. (De Montesquieu / De l’esprit des lois)

 

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