(suite et fin)
B.Décret, circulaire :
1)Je n’ai pas trouvé le décret n° 606 du 1er ministre du 19 octobre 1973. Sous ce n° de décret, le JORT (en pdf disponible sur le site du cnudst) me donne : « Présidence de la République, décret 73-606 du 30 novembre 1973 portant expropriation d’utilité publique… ». En cherchant avec la date seule, je n’obtiens pas de réponse. En élargissant la recherche avec différentes combinaisons (décret-année, année seule, mois-année, ministère…), je n’obtiens rien non plus. Si quelqu’un a un exemplaire de ce décret, peut-être pourrait-il le mettre en ligne, merci.
2)La circulaire du 5 novembre 1973 :
Elle est disponible, en arabe seulement, dans la Revue de Jurisprudence et de Législation, novembre 1973, volume 9, page 83 (revue éditée par le ministère de la justice tunisien). J’en cite quelques lignes savoureuses (traduction approximative, désolé) :
« le législateur s’est empressé, dès l’indépendance, de publier le code du statut personnel en se basant sur l’islam et les règles fondamentales jurisprudentielles… L’article 5 dudit code stipule que le mariage de la musulmane avec le non-musulman est nul et que son alinéa 1 exige que chacun des époux soit libre des empêchements légaux… La jurisprudence veillera à l’application de cette condition tout en préservant l’authenticité islamique de la famille tunisienne en l’éloignant de tous les dogmatismes occidentaux que cette société rejette sans aucune possibilité d’entente, en se référant à la loi coranique et aux traditions… M. le 1er ministre a émis des instructions fermes pour interdire l’établissement des actes de mariage des Tunisiennes musulmanes avec les non-musulmans sauf si l’époux produit la preuve qu’il s’est converti à l’islam selon les dispositions du décret du 19 octobre 1973 ». En réalité, la circulaire ne parle pas de décret mais littéralement de « kitâbihi », « correspondance » , s’agit-il alors d’un avis ou d’une note de service ? Cela expliquerait pourquoi je n’ai pas trouvé sa trace dans le JORT.
On voit bien l’interprétation biaisée de l’article 5 du CSP, déjà mentionnée par d’autres contributeurs, je dirais même contradictoire car cette circulaire est largement postérieure à l’entrée en vigueur de la Convention sur le consentement au mariage, l’âge minimum du mariage et l’enregistrement du mariage (1968) : je doute que l’article 5 du CSP ait pu mentionner, en 1973, un empêchement religieux lui-même prohibé depuis 1968.
C. Doctrine et jurisprudence :
Voici un article intéressant, qui donne un état de la jurisprudence tunisienne en la matière :
« Conventions internationales, mariage mixte et droit successoral en Afrique du Nord : Cachez-moi cette différence que je ne saurais voir »de Wassila Ltaief, in Revue internationale des sciences sociales, n°184, année 2005, volume 2.
Conclusion générale :
pour contester un refus d’établissement d’acte de mariage, munissez-vous de la Convention sur le consentement au mariage, l’âge minimum du mariage et l’enregistrement du mariage (http://www2.ohchr.org/french/law/mariage.htm), de la loi de ratification de 1967, de son décret d’application de 1968 (en fac-similé plus haut), de toutes la jurisprudence que vous pourrez trouver et bien sûr d’un CSP à jour (dernière édition 2009). Si ça ne suffit pas, il ne vous reste que le recours devant le tribunal administratif où ces textes juridiques vous seront utiles car ils sont le droit positif tunisien. Le droit est du côté des femmes tunisiennes musulmanes qui osent le réclamer : les difficultés ne viennent pas des textes mais des mentalités et les seuls remèdes sont patience et résistance. Il en faut des tonnes pour fléchir des juges qui violent littéralement le droit tunisien en faisant primer la loi religieuse là où elle n’a plus cours. Mais à force de cogner contre le mur, il finira bien par se fissurer !
Rappelez-vous cet adage : « les hommes font les lois, les femmes font les mœurs » (comte de Guibert). Foncez !