Conclusions à propos de l'affaire ATR-72: Alarmante inertie tunisienne juridico-administrative

Au vu de la convention de Chicago 1947 et son annexe 13;

Au vu du code tunisien sur l’aviation civile;

Au vu du code Tunisien sur la procédure pénale;

Au vu du rapport final d’enquête menée par l’ANSV;

Au vu des différentes réactions médiatisées et des positions des uns et des autres;

Le constat est alarmant, voire même triste:

On n’est pas malin (Et on va montrer comment).

On ne comprend pas les textes auxquels nous adhérons.

Dans cette affaire, on l’aurait dû être et on aurait dû voir venir le pire.

Avant le prononcé du jugement incriminant pilote, mécaniciens et responsables, on ne savait de l’accident que ce comportement héroïque du capitaine qui a sauvé des vies.

Aujourd’hui, l’histoire est différente. Notre héros est condamné à une lourde peine de prison par un tribunal étranger.

Pire encore, le rapport final d’enquête, publié sur internet, comporte des accusations graves à notre système de gestion de l’aviation civile dont nous sommes, pourtant, fières.

En face de ces accusations, et au lieu de répondre adéquatement, on continue à polémiquer sommairement sans convaincre, peut être même, sans conviction (et c’est plus grave).

Aujourd’hui, on crie au scandale pointant nos yeux vers notre voisin du nord. Mais les éléments de vérité sont devant nos yeux, pas aussi loin qu’on les a cru.

Suivant nos émotions, le débat porte principalement aujourd’hui sur l’enquête elle-même et subsidiairement sur le jugement italien mais sans la moindre attention à nos propres défaillances juridiques caractérisées par une alarmante inertie.

I- L’enquête:

A- qui a droit d’enquêter?

La Tunisie objecte que l’accident s’est produit en aux internationales. Les italiens répondent que c’est sur leurs eaux territoriales. L’article 26 de la Convention de Chicago indique l’Etat qui ouvre l’enquête (faut aussi se référer à son art 2) mais ne règle pas le problème en cas de différend (c’est très important de noter ça).

On ne va pas poser la question si réellement la Tunisie avait les moyens de procéder à une telle enquête, mais on se demande qu’aurait pu faire la Tunisie quand l’Italie s’est saisie de cette procédure?

L’annexe 13 de la Convention sus indiquée détermine les Etats aptes à mener les enquêtes et les droits respectifs des Etats concernés (Etat sur le territoire duquel l’accident est survenu, Etat d’immatriculation, Etat de construction etc…).

L’Italie ayant déclaré (auto déclaration) que l’accident s’est survenu sur son territoire, s’est automatiquement vue octroyée le droit de mener l’enquête technique selon les directives du dit annexe et les articles de la convention tout en se référant au code de navigation italienne (un autre élément à retenir aussi).

Rien n’aurait interdit à la Tunisie de se déclarer elle aussi concernée en 1er lieu par l’enquête au vu que les textes désignent la Tunisie, Etat d’immatriculation de l’avion, comme Etat pouvant mener une telle enquête.

Ni le texte de la convention ni son annexe 13 utilisent un système d’exclusion ou de négation. En d’autres termes, l’auto déclaration d’un Etat le droit de mener une enquête n’interdit pas à un autre Etat de faire la même déclaration et de mener cette même enquête.

Pourquoi? Une raison et une conséquence

La raison est que les textes confèrent à l’Etat menant l’enquête un droit d’investigation obligeant les autres Etats à coopérer avec lui et lui donne aussi le droit de gérer cette enquête conformément à son droit national si ce droit comporte des dispositions différentes de La Convention et ses annexes.

L’Italie avait mené l’enquête selon l’annexe 13, mais aussi selon le code de navigation italienne et s’est vu permise de refuser l’accès des tunisiens et autres à certains éléments ou phases de cette procédure, tout en les obligeant à coopérer.

La Conséquence est que si la Tunisie s’était auto déclarée 1er pays concerné et avait mené (sa propre) enquête, on saurait devant une situation conflictualiste: 2 Etats se proclamant le droit de mener une enquête à propos d’un accident grave d’avion civil.

C’est un différend entre Etats contractants de la Convention de Chicago qui aurait pu déclencher la procédure prévue au Chapitre XVIII de la dite convention et qui prévoit un règlement par négociation ou par arbitrage ad hoc.

D’après nos informations, la Tunisie n’a fait que signaler l’incompétence de l’Italie à mener l’enquête par lettre adressée respectivement à l’ANSV et au secrétaire de l’OIAC sans plus.

Pourquoi la Tunisie n’avait pas agit de la sorte?

B- La teneur de l’enquête:

A quoi sert l’enquête relative à un accident grave d’avion civil?

L’article 3.1 du chapitre 3 de l’annexe 13 précise que l’enquête a pour objectif principal la prévention d’accidents et incidents et ne doit en aucun se superposer en un instrument de blâme ou de sanction.

D’ailleurs, une note de travail du secrétariat de l’Organisation de l’Aviation Civile Internationale (AIG/08-WP/4 du 25/6/08) rappel avec insistance dans son introduction que «l’enquête sur un accident ou incident a pour seul objectif la prévention des futurs accidents. Cette activité ne vise nullement à déterminer des fautes ou des responsabilités…que toute autre action judiciaire ou administrative visant à déterminer les fautes ou les responsabilités soit distincte de l’enquête menée en application de l’annexe 13

C’est tout dit.

En d’autres termes, l’enquête menée selon la Convention Chicago ne doit pas chercher des responsables de l’accident mais plutôt chercher à trouver des solutions afin que de tels accidents ne se reproduisent plus.

Mais une simple lecture du rapport (final) d’enquête menée par l’ANSV montre bien que la dite agence a cherché tout au long de ses investigations à accuser et individualiser les responsables du crash.

C’est une violation gravissime de la convention de Chicago et ses annexes.

A priori, rien n’interdit la Tunisie, même actuellement, à invoquer une telle violation et faire jouer le dispositif du Chapitre XVIII.

La Tunisie a même le droit de refaire l’enquête. Pourquoi elle ne l’a pas fait? Ou si elle l’a demandé, pourquoi rien n’en a été dit?

Au vu du rapport de l’ANSV, les critiques qui ont été adressées au personnel de maintenance, à la gestion de la compagnie Tuninter et à l’équipage sont gravissimes.

Au vu de ce rapport, le comportement (héroïque) du pilote ne peut pas occulter une cascade de fautes, erreurs et défaillances qui ont été la cause directe de cette tragédie et qui ont été commises par plusieurs personnes.

Apparemment, personne n’a voulu polémiquer à propos de ce rapport d’enquête car on n’a pas vu le jugement pénal venir.

Avons-nous calculé ou estimer qu’un tribunal Italien, ayant en mémoire 13 victimes italiennes et entre les mains un rapport accablant, ne peut pas être clément?

Faut noter qu’en aucun lieu du rapport, l’ANSV a fait mention de Bravoure du pilote. Pire, l’équipage s’était vu collé une dizaines de reproches, même en phase critique de ditching.

Le pilote n’été perçu Héros que chez nous. En Italie, on le voyait autrement: Un COUPABLE (parmi d’autres).

Ainsi, le jugement ne pouvait être autre que celui prononcé.

II- Le jugement

On manque de données sur le jugement. Seules les peines prononcées ont été communiquées.

Il faut comprendre les juges italiens qui ont jugé au vu de ce que nous avons expliqué auparavant.

L’Italie avait des victimes, mais la Tunisie aussi. On reste néanmoins devant une question à la quelle on n’a pas trouvé de réponse: Pourquoi l’équipage été sanctionné lourdement alors que réellement il n’assume pas une faute directe? Il faut voir les considérations du jugement pour en savoir plus.

Mais le plus important est que les italiens ont fait jouer leur justice; les tunisiens? Non.

Pourquoi la justice tunisienne ne s’était pas saisie de l’affaire?

Rien n’interdisait, à l’époque, une action judiciaire comportant une enquête judiciaire sur l’accident.

Que ce soit en fonction des dispositions du code tunisien de l’aviation civile, du code de procédure pénale ou même de notre code pénal, une action judiciaire aurait dû être menée.

Si une enquête judiciaire aurait été ouverte et un jugement rendu, on aurait pris les italiens au dépourvu. On aurait fait jouer le principe Ne Bis In Idem empêchant le juge italien de juger nos consorts. Et même s’il le faisait, on aurait gain de cause auprès de la cour européenne des droits de l’homme qui veille au respect dudit principe universel.

La compétence des juridictions tunisiennes était évidente au vu des éléments de rattachement: Avion, équipage, lieu de la commission de l’erreur fatale, victimes…

C’est l’inertie administrative et judiciaire qui a fait que nous pleurons aujourd’hui un héros condamné tout en oubliant des victimes tunisiennes abandonnées et des responsables directs qui gardent encore le silence.

C’est cette inertie qui laisse aujourd’hui innocentés les 2 contrôleurs (des aéoroports de Rome et Palerme) qui ont mal assisté notre avion alors que le rapport même de l’ANSV relate un manquement grave et absence manifeste de professionnalisme de la part de ces deux monsieurs (NDLR: c’est nous qui nous mentionnons cette qualification car l’ANSV ne leur reproche rien!!!!).

En conclusion, si le Rapport d’enquête menée par l’ANSV détermine les causes de cette tragédie en une cascade d’erreurs, fautes et défaillances imputées à nos ingénieurs et mécaniciens au sol, à notre équipage et à la Compagnie Tuninter, nous ajoutons aussi que cette tragédie continue à nous faire mal par ce jugement italien rendu à cause d’une inertie administrative et judiciaire tunisienne caractérisée par:

– la non déclaration par la Tunisie qu’il est un Etat qui va mener l’enquête selon les termes des articles 2 et 26 de la Convention de Chicago (on aurait créé un différend et jouer le dispositif du chapitre XVIII de la dite convention à fin que l’Etat menant l’enquête soit désigné à l’amiable ou par une autorité indépendante).

– l’absence d’objection tunisienne formulée à l’encontre de l’enquête menée par l’ANSV en violation du paragraphe 3.1 et 5.4.1 de l’annexe 13 de la dite convention en étant une enquête ayant cherché des coupables.

– L’absence d’action de la justice tunisienne qui ne s’été pas aussi auto saisie alors même que les éléments de rattachement la désignent autorité compétente et on aurait évité que nos consorts soient jugés et condamnés par un tribunal étranger.

– L’absence d’action de la justice tunisienne qui a laissé innocents 2 criminels italiens (les 2 contrôleurs de Rome et Palerme).

Ayant abandonné notre propre droit en Tunisie même, aujourd’hui il faut aller chercher nos droits  en terre étrangère hostile espérant qu’il ne soit pas déjà trop tard.

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