La justice télévisée

Décidément, la guerre entre avocats n’aura pas lieu aux urnes ou aux assemblées générales du barreau, mais sur les écrans de notre télévision nationale et les colonnes de nos journaux.

Triste état du métier qui manifeste d’une hétérogénéité pathologique avancée, mais pas dans un stade terminal.

Dilemme sanglant entre la dénonciation d’un avocat ou, plutôt, la pratique d’un avocat qui rafle le butin d’une veuve et ses orphelins et le devoir de défendre un métier, noble de principe et par nature, mais essoufflé par ses humeurs et ses « mœurs » loin d’être nobles et vont contre nature du sens « noblesse ».

Après communiquées et contre communiquées, messages et rumeurs, décisions et défis, le juriste ne peut pas avoir un maigre résultat du « débat » pour en conclure en droit.

Conclure en posant 2 questions:

1) Le bâtonnier peut-il interdire aux avocats de passer à la télé?

2) L’émission télé en question ne pose –t- elle pas une question d’inconstitutionnalité?

1) le métier d’avocat est régi en Tunisie spécialement par la loi n°87 du 7/11/1989. Première remarque à cet effet, les articles 22 et 23 prévoyant les cas de non cumul, n’interdisent pas aux avocats de passer à la télé, d’animer des programmes ou d’y participer sauf si ces passages n’ont plus un caractère temporaire.

Du 1er coup, le bâtonnier est hors d’état de nuire. Contrairement à ce que j’ai lu, il n’a pas un mandat exclusif de représentation des avocats. L’article 62 précise que le bâtonnier représente les avocats auprès des autorités centrales. Je suppose qu’en dehors de ce cadre, il doit être expressément mandaté par l’assemblée générale des avocats pour en être représentant auprès des tiers.

A fortiori, un avocat n’a pas le droit, non plus, de se porter ou se déclarer représentant des avocats par sa propre volonté.

Ainsi, ni les avocats qui passent à la télé doivent porter la robe de tous les avocats ni le bâtonnier a le droit de leur interdire de passer à la télé au motif qu’ils n’ont pas le droit de le faire.

Mais l’ordre des avocats peut avoir un droit de regard. Quand?

Quand l’avocat manque à ses devoirs ou commet un acte portant atteinte à l’honneur du métier ou sa considération par un comportement ou une conduite. Dans ce cas, on entre dans un cadre disciplinaire encadré par le chapitre sixième de la dite loi.

Mais ceci ne donne pas droit au bâtonnier d’interdire aux avocats l’accès aux mass-médias.

Ceci ne donne pas droit, non plus, aux mass médias de jouer le rôle du barreau tel que déterminé par le chapitre 6ème sus indiqué. Ne donne pas droit non plus à des avocats agissant à titre individuel de jouer le rôle de ces instances professionnelles, non plus aux émissions télévisées.

2) On peut même constitutionnaliser l’affaire!!!

C’est en partant d’une interview de l’animateur phare qui a affirmé que » l’émission a cherché une solution à l’amiable » que la gravité de la question pourrait être soulevée.

Il faut partir, d’abord, du texte de la loi 1989 dont l’article 45 précise que l’avocat qui commet des actes qualifiés de crime ou délit est obligatoirement différé devant le juge d’instruction par le procureur de la république.

Dans l’affaire qui a été à l’origine du scandale, les faits auraient pu être qualifiés d’escroquerie, abus de confiance ou même d’un vol. Ce sont des accusations graves dont seule la justice est compétente pour en statuer. Ni l’ordre, ni le bâtonnier ou une émission télé n’avait le droit de s’y mêler, même dans le cadre de la recherche d’une transaction.

Le conseil constitutionnel a affirmé dans plusieurs de ses avis (obligatoires) que la transaction en matière pénale est du ressort exclusif de la justice.

Ainsi, l’émission télé en question ne défi pas l’ordre des avocats (ou plutôt, son bâtonnier), mais elle enfreint à l’ordre judiciaire tout court tel que défini par notre constitution et éclairé par le conseil constitutionnel.

Certains vont objecter que (peut être) le ministère public n’a pas été saisi. C’est vrai que le pénal tient à cette action publique que détient le procureur de la république. Mais si nos connaissances (juridiques) sont bonnes, le ministère publique peut se saisir d’office d’une action sans avoir besoin de recevoir une plainte de la victime (ou autre) mais du simple fait qu’il en est au courant.

On trouve bizarre, quand même, qu’une affaire dont toute la section Tunis est au courant, tout le palais de la justice en connaît les détails et que par le fait de la télé, toute la tunisie en sait des choses sans pour autant qu’une action publique ne soit intentée!!!

Dans les 2 cas (une action est en cours ou non), le droit est en cause: constitutionnel d’une part, juridictionnel de l’autre part.

Ceci impose obligatoirement la question de dénonciation. Quelle forme devrait-elle voir? Et quel effet pourrait-elle en engendrer?

Si nos émissions télé vont passer à un style dénonciateur, nos procureurs vont devoir, peut être, se scotcher devant la télé.

Demain, peut être, on va être amené à traiter de la justice télévisée.

NB: Sur le site officiel de l’émission, j’ai noté un vote mais surtout, j’ai noté que les maîtres se nomment “chroniqueurs”. eh ben!!!

Curieux, j’ai cherché la définition:

A.− Celui qui consigne les faits historiques dans l’ordre de leur déroulement. Anciens chroniqueurs, chroniqueurs du Moyen Âge :

1. … il y a entre les chroniqueurs des premières croisades et les historiens des dernières, un intervalle immense et qui révèle dans l’état des esprits une révolution véritable.
Guizot, Hist. gén. de la civilisation en Europe, 1828, p. 19.

B.− P. ext.

1. Rare. Celui qui rapporte des propos souvent médisants, des nouvelles vraies ou fausses répandues sur certaines personnes. En chroniqueur qui sait (…) la valeur d’une anecdote scandaleuse, elle termina sa petite revue des salons (Ponson du terrail, Rocambole, t. 5, Les Exploits de Rocambole, 1859, p. 147).

2. Celui, celle qui rédige des articles pour un journal ou une revue, qui assure une émission radiophonique ou télévisée, et qui est spécialisé dans un domaine particulier. Chroniqueur littéraire, mondain, sportif.

Au vu de ces définitions, mes pensées malsaines deviennent chroniques

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