Le sexe dans le cadre du mariage: Obligation, infraction ou un point d'interrogation?

Depuis le début de ce fil de discussion dans nos forums qui a évoqué le cas d’une demande de divorce pour motif de pratiques sexuelles violentes et illégitimes, la pensée à cette relation bizarrement complexe et épineuse entre le sexe et le droit nous a fait rappelé aussi ce sentiment mitigé et indescriptible en traitant la relation entre la mort et le droit…ou même en évoquant le fisc et la mort.

Ces dernières années, j’ai eu connaissance de plusieurs cas de plaintes (informelles, il faut l’avouer) émanant de femmes tunisiennes à propos de pratiques sexuelles perverses (surtout), violentes ou insuffisantes (rarissimes) les poussant à demander le divorce.

D’après mes connaissances aussi, aucune de ces femmes n’a déposé requête de divorce en raison du préjudice subi (parag. 2 de l’article 31 CSP) en évoquant expressément de telles pratiques.

En réalité, 2 explications justifient cette abstention: la 1ère est que les avocats déconseillent leurs clientes à suivre une telle démarche au vu des difficultés de prouver un tel préjudice (et ils ont raison). La 2ème, est que nos femmes, même si elles osent parler de tels problèmes avec des ami(e)s, ne sont pas capables d’oser en traiter devant un juge ou une cour de justice au risque de voir sa vie privé traitée dans les couloirs des différents établissements.

Mais parlons droit: quelle est la situation juridique du sexe dans les relations conjugales?*

1- Le CSP est muet. On va se hasarder obligatoirement dans un style interprétatif.

2- Le Code pénal évoque une relation sexe/mariage et ses dispositions vont nous tourner la tête. Ca ne sera pas facile du tout. **

On aurait pu se hasarder à avancer sans hésitation que le sexe est une obligation (A) qui pourrait devenir une infraction dans certaines conditions (B). Mais ce n’est pas évident.

A- L’obligation « sexe » dans le mariage n’est pas nécessairement une obligation de faire.

Aucun texte du CSP n’oblige le couple à avoir des rapports sexuels. Pire, la relation sexuelle a été dématérialisée par l’application jurisprudentielle des dispositions du CSP en inventant la notion « doukhoul hokmi » (الدخول الحكمي).

Et pourtant, aucun juriste (ou autre) ne doute ou n’hésite sur la réponse consistant à affirmer que dans les relations conjugales il existe une « sorte » d’obligation de rapports sexuels entre époux.

Le 1er argument texte invoqué serait sans doute le 2ème paragraphe de l’article 23 qui dispose que : «Les deux époux doivent remplir leurs devoirs conjugaux conformément aux usages et à la coutume.».

L’usage et la coutume veulent que 2 personnes qui se marient vont avoir des rapports sexuels. Que dire si le mariage a couronné un sentiment d’amour ardent entre 2 êtres angéliques!

Mais les notions usage et coutume évoluent aussi avec le temps et l’espace et font dire aussi, par conséquence, que mariage, de nos jours, peut être analysé comme une forme subsidiaire ou additive d’alliances familiales socio-économiques ou d’entente entre 2 personnes en vue d’atteindre ou de réaliser certains objectifs de différents ordres (financier, social, politique…). C’est ce qu’on qualifie de mariage d’affaires.

L’usage et la coutume nous incite à remarquer que dans ce dernier cadre l’obligation sexuelle est à retenir au second degré ou elle remarquer qu’elle importe peu.

Le 2ème argument qui sera invoqué, serait l’invocation d’usages et coutumes à fondement religieux et dont l’essentiel consiste à dire que L’Islam véhicule l’idée de procréation pour assurer la continuité de la progéniture de la race humaine qui doit passer inéluctablement par la tenue des rapports sexuels dans le cadre du mariage, seul cadre toléré par notre religion.

C’est une obligation de faire, en quelque sorte.

D’où, le refus de tenir de tels rapports peut être constitutif d’un enfreint à ce devoir naturel.

On serait même tenté de déduire que l’abstention ou le refus de remplir ce devoir est constitutif d’une faute ou un préjudice.

Tenté? Oui. Mais cette tentation est immédiatement foudroyée par un texte coranique

بسم الله الرحمان الرحيم

« الرِّجَالُ قَوَّامُونَ عَلَى النِّسَاء بِمَا فَضَّلَ اللّهُ بَعْضَهُمْ عَلَى بَعْضٍ وَبِمَا أَنفَقُواْ مِنْ أَمْوَالِهِمْ فَالصَّالِحَاتُ قَانِتَاتٌ حَافِظَاتٌ لِّلْغَيْبِ بِمَا حَفِظَ اللّهُ وَاللاَّتِي تَخَافُونَ نُشُوزَهُنَّ فَعِظُوهُنَّ وَاهْجُرُوهُنَّ فِي الْمَضَاجِعِ وَاضْرِبُوهُنَّ فَإِنْ أَطَعْنَكُمْ فَلاَ تَبْغُواْ عَلَيْهِنَّ سَبِيلاً إِنَّ اللّهَ كَانَ عَلِيًّا كَبِيرًا. »

صدق الله العظيم

سورة النساء الآية 34

Cette sourate indique aux hommes de « corriger » leurs femmes par l’abandon du lit. C’est-à-dire l’abstention de tenir des rapports sexuels avec leurs épouses.

L’obligation de faire positive passe en une attitude passive ou négative pour être analysée comme une sanction ou un correctif. Mais son application est variable selon le sexe de son auteur. Seuls les hommes peuvent s’abstenir ou refuser ce devoir.

Les femmes non? Selon ce texte oui, mais selon la loi tunisienne, pas évident.

En effet, à lire du près le texte coranique, on peut dire que le fondement de ce droit de ne pas faire accordé à l’homme est justifié par cette obligation d’obéissance qui pèse sur la femme. Une fois la femme obéit, le mari ne peut plus, ou même, n’a pas le droit de s’abstenir.

Cette obligation d’obéissance du coté de l’épouse a été inscrite dans la rédaction de l’article 23 du CSP. Mais la réforme de 1993 a fait disparaître une telle obligation. Désormais, la femme épouse tunisienne n’en est plus assujettie.

Si la femme (épouse) tunisienne n’est plus tenue à une obligation d’obéissance le mari tunisien ne peut plus invoquer son droit à l’abstention.

Si on accorde quand même ce droit au mari tunisien, la femme en bénéficie également.

La question, donc, est délicate à résoudre de manière rigoureuse et précise. Ça sera idem pour la teneur de ces rapports.

B- l’infraction sexuelle du point de vue pénale est « disjonctée » par l’effet du mariage.

Violences sexuelles ou pratiques sexuels perverses, dans les 2cas, le comportement sexuel s’écarte de la normalité. Car faire mal ou porter atteinte n’est pas de l’essence du rapport sexuel qui vise le plaisir et le bien être de la personne humaine.

Mais que faut-il entendre par violences sexuelles? Existe-t-il une définition juridique?

En droit comparé, l’article 222-22 du Code Pénal français (par exemple) définit comme agression sexuelle « toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise« .

Et on dénombre dans le cadre de ces violences sexuelles, les cas de viol, attouchements illicites ou impudiques, l’inceste, le harcèlement sexuel, l’exhibition sexuelle ou le proxénétisme.

La simple lecture des dispositions de notre code pénal va nous rendre encore plus difficile la tache de trancher.

En effet, que ce soit en matière d’atteinte aux bonnes mœurs ou à la morale publique (226 bis) ou harcèlement sexuel (226 ter), les textes parlent « d’autrui » du coté de la victime.

D’où la question: l’épouse est elle un « autrui » pour l’époux?

Certes, l’analyse civiliste de cette notion du « tiers » (autrui) peut paraître inadéquate en matière pénale et elle peut englober toute personne autre que l’auteur de l’acte. Mais on doit se poser la question si le fait du mariage n’a pas un effet direct sur la matière?

On est tenté de poser une telle question surtout au vu des dispositions de l’article 227(bis) traitant des cas où on fait subir sans violence, l’acte sexuel à un enfant de sexe féminin âgé de moins de quinze ans accomplis ou supérieur à quinze ans et inférieur à vingt ans accomplis. Dans ces 2 cas, le mariage du coupable arrête les poursuites ou les effets de la condamnation.

Le mariage est donc un fait libérateur et dépénalisant.

Quand l’acte qualifié de crime subit un fait extérieur (le mariage) n’est plus tel, que faut-il penser de cet acte s’il se produit dans le cadre même de ce fait?

Pour preuve de la délicatesse de la réflexion et sa complication, l’article 236 du même code qui traite de l’adultère dispose que le conjoint est maitre d’arrêter les poursuites ou l’effet de la condamnation.

C’est pour dire que le mariage est un fait disjoncteur du dispositif pénal.

Le seul cas où on note que le mariage est un élément aggravant la peine est celui lié à l’excitation à la débauche et dont l’article 233 porte la peine encourue pour le proxénète de 3 à 5 ans d’emprisonnement s’il est l’époux.

Il faut noter que dans ce dernier cas, les rapports sexuels n’ont plus un cadre limité et exclusif: les époux. Quand ces rapports ont débordé le cadre du mariage, le législateur frappe fort.

Faut-il en conclure qu’il est plus tolérant dans le cadre des rapports sexuels même abusifs dont l’exercice se cantonne dans le strict cadre légal du mariage?

C’est précisément en partant de cette question que nous allons traiter les 2 plus délicates questions en cette matière: Viol et Sodomie.

Pour ce qui est du viol, la condition essentielle à son établissement est l’absence du consentement de la victime. Si consentement a eu lieu, le viol n’existe pas.

L’article 227 fait une présomption d’absence de consentement quand l’âge de la victime est au dessous de 13 ans accomplis. En dehors de ce cas, il faut prouver son existence pour échapper à la peine.

Mais si le législateur a fait jouer la règle de présomption d’absence de consentement, peut on dire que cette présomption d’existence de consentement est implicitement avancée par le fait du mariage?

Parler de viol dans ce cadre c’est s’avancer sur un terrain épineux de suppositions et de présomptions.

Une épouse peut elle accuser son mari de Viol? Théoriquement oui. Pratiquement, je pense que par l’effet de cette relation de mariage, elle devrait prouver son absence de consentement. Elle pourra, peut être, le prouver par le constat de signes de violence. Même dans ce cas, je ne pense pas que le juge tiendra compte du viol, mais se limitera à la violence d’un mari brutal que la jurisprudence s’est stabilisée à sanctionner.

violence1

Quand à la sodomie, elle est punie par 3 ans d’emprisonnement sauf si elle n’entre pas dans le cadre des dispositions antérieures à l’article 230.

Sa preuve est possible médicalement et ne pose pas une difficulté particulière.

Le mariage peut-il assouplir sa sanction? La réponse, selon notre avis est négative.

Plusieurs fondements pourraient être avancés dans ce sens.

Nous avançons, entre autre, un fondement religieux, qui est le suivant:

بسم الله الرحمان الرحيم

وَيَسْأَلُونَكَ عَنِ الْمَحِيضِ قُلْ هُوَ أَذًى فَاعْتَزِلُواْ النِّسَاء فِي الْمَحِيضِ وَلاَ تَقْرَبُوهُنَّ حَتَّىَ يَطْهُرْنَ فَإِذَا تَطَهَّرْنَ فَأْتُوهُنَّ مِنْ حَيْثُ أَمَرَكُمُ اللّهُ إِنَّ اللّهَ يُحِبُّ التَّوَّابِينَ وَيُحِبُّ الْمُتَطَهِّرِينَ.

صدق الله العظيم

سورة البقرة (الآية 222)

Reprimée religieusement, déconseillée pour des raisons d’hygiène et textuellement sanctionnée pénalement, le mariage ne peut pas dépénaliser ce crime commis par l’époux et pourrait être une cause justifiée pour demander divorce selon les dispositions du 2ème paragraphe de l’article 31 CSP.

En résumé, de toutes ces atteintes sexuelles portées dans le cadre d’une relation de mariage, la sodomie et le proxénétisme nous paraissent les seuls cas possible constituant un fondement solide pour demander divorce pour préjudice.


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*La jurisprudence tunisienne a eu affaire à 2 problèmes: la virginité et l’impuissance. On y reviendra une autre fois.

** On comprend maintenant pourquoi un imminent enseignant à la faculté de droit dont le sujet de thèse traite précisément des relations sexuelles dans le cadre du mariage traine dans ce travail scientifique depuis plus de 20 ans !!!!

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