Mais c'est quoi le Mariage en droit Tunisien?

Mes souvenirs d’étudiant en droit commencent à être lointains et la mémoire commence à faire défaut, parfois. Je me souviens, cependant, qu’une discussion avait lieu de savoir si le mariage en droit tunisien est un contrat ou une institution.

Il est vrai que je ne me souviens pas si on a définit le mariage.

Pourquoi on évoque ça?

Tout simplement, la Cour de Cassation Tunisienne vient de faire un constat. Après 53 ans, il parait que le législateur tunisien n’a pas défini le mariage!

Dans son arrêt n° 12678 du 7 Juin 2007 que je viens de consulter tardivement, la Cour fait le constat et tente de faire ce que le législateur n’a pas fait.

Pour elle, «le mariage est grosso modo un contrat par lequel un homme et une femme cohabitent sous le même toit pour se rencontrer sentimentalement et sexuellement et assurer la race» (sic)[1].

La Cour ajoute que cette définition va dans le sens des principes du droit musulman invoquant une sourate du coran[2].

D’abord, on aurait pu voir une autre source ou une autre sourate[3].

Ensuite, on est réellement surpris d’une telle définition donnée insérant le mariage en une rencontre sentimentale et sexuelle pour assurer la race (humaine).

Peut-on définir le mariage en droit Tunisien, de nos jours, par référence à de telles notions?

C’est méconnaitre 53 ans d’évolution notable qu’a connu la famille tunisienne et ses perceptions du mariage. C’est méconnaitre aussi l’article 23 CSP qui en dit long et beaucoup.

Article 23:

Chacun des deux époux doit traiter son conjoint avec bienveillance, vivre en bon rapport avec lui et éviter de lui porter préjudice.

Les deux époux doivent remplir leurs devoirs conjugaux conformément aux usages et à la coutume.

Ils coopèrent pour la conduite des affaires de la famille, la bonne éducation des enfants, ainsi que la gestion des affaires de ces derniers y compris l’enseignement, les voyages et les transactions financières.

Le mari, en tant que chef de famille, doit subvenir aux besoins de l’épouse et des enfants dans la mesure de ses moyens et selon leur état dans le cadre des composantes de la pension alimentaire.

La femme doit contribuer aux charges de la famille si elle a des biens.

Qu’on se réfère au droit musulman pour définir le contrat de mariage est une louable action. Mais attention, les conséquences d’une telle démarche de la part de la Cour de Cassation pourraient être embarrassantes pour cette même Cour et le reste des tribunaux tunisiens.

Que dira la Cour demain, si on invoque auprès d’elle le droit d’obéissance de l’épouse à son mari, droit prévu par le droit musulman et été expressément cité par l’article 23 CSP avant qu’il soit abrogé? [4].

Il ne fait aucun doute que le droit musulman est une source d’interprétation du droit tunisien, une source parmi tant d’autres. Mais tenter une telle définition après 53 ans de mutisme nous fait rappeler aussi un adage populaire tunisien: " Le silence est d’or".

Sans aucun doute, toute notion juridique doit être définie ou cernée au maximum. Sans aucun doute aussi, notre droit de famille et spécialement notre CSP, font que notre législation est totalement différente de celles des pays arabes et musulmans.

Le mariage en droit tunisien est différent. on aurait aimé voir une audace de souligner que cette notion universellement connue a une connotaion propre à nous, juridiquement.

Aujourd’hui, on parle de partenariat entre homme et femme. Et si le mariage n’est pas juridiquement un Partenariat sui generis appliqué à la famille au vu des différents éléments corroborant cette qualification!!!

Dans un autre cadre et dans la même affaire[5], La Cour approuve le mari dans son action de divorce pour absence de rapports sexuels au motif que cette absence a des effets négatifs sur l’institution[6] du mariage qui vise la procréation (sic)[7] et qui empêche des rapports sexuels hors mariage mettant en danger la filiation (NDLR: C’est nous qui le signalons).

Que faut-il alors penser d’une épouse ou d’un mari qui n’ait plus envie de l’autre pour une raison ou une autre. Au vu du raisonnement de la Cour, cette personne viendra demander aux tribunaux : «soit vous m’accordez le divorce soit je cherche ailleurs ».

Elle peut même, sur la base de cette justification et ce fondement jurisprudentiels entamés par notre Cour suprême, invoquer à l’appui les articles 556 et 557 du COC.

Art 556: Entre deux inconvénients, il faut choisir le moindre.

Art 557: Entre l’intérêt général et l’intérêt particulier, il faut préférer l’intérêt général, s’il n’y a pas moyen de les concilier.

Evidemment, l’intérêt général réside dans l’empêchement du mal (rapports sexuels disparates et marginaux) et la sauvegarde de la pure et légitime filiation.


[1] – « يمكن القول عامة أن الزواج هو عقد يتعايش بمقتضاه رجل وامرأة تحت سقف واحد ليلتقيا عاطفيا وجنسيا للمحافظة على الجنس. »

[2] « ويمكن القول أن هذا التعريف يتماشى ومبادئ الشريعة الإسلامية حيث قال تعالى : " والله جعل لكم من أنفسكم أزواجا وجعل لكم من أزواجكم بنين وحفدة." صدق الله العظيم النحل – 72-

[3] – « وَمِنْ آيَاتِهِ أَنْ خَلَقَ لَكُم مِّنْ أَنفُسِكُمْ أَزْوَاجًا لِّتَسْكُنُوا إِلَيْهَا وَجَعَلَ بَيْنَكُم مَّوَدَّةً وَرَحْمَةً إِنَّ فِي ذَلِكَ لَآيَاتٍ لِّقَوْمٍ يَتَفَكَّرُونَ» صدق الله العظيم الروم. 24

[4] – loi n° 93-74 du 12 Juillet 1993

[5] – C’est une affaire de divorce pour dommage intenté par un mari au motif que sa femme est dans l’incapacité d’avoir des rapports sexuels avec lui pour des raisons pathologiques et physiques.

[6] – La Cour use du terme «Institution» expressément après avoir usé du terme « Contrat». Cette usage peut donner lieu à un long commentaire sur les conséquences qu’on pourrait en tirer et lancer un débat théorique d’une valeur juridique certaine.

[7] – «…باعتبار أن هاته المؤسسة (الزواج) ترمي الى النسل وفي هذا المجال قيل أن الزواج جنة أي حماية من المفاسد…»

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