L’affaire des rumeurs relatives aux enlèvements d’enfants en Tunisie est entrée la semaine dernière dans une autre étape avec la parution devant la justice de la dame accusée d’en être la source. Apparemment, la Dame, professeur retraitée, a publié sur Facebook l’info qui s’est propagée très vite. Elle s’est vue inculpée de propagation de fausses informations perturbant l’ordre public!
L’accusée s’est défendu en arguant sa bonne foi et a demandé la clémence du tribunal.
L’originalité de l’affaire c’est qu’elle traite des éléments imprécis:
1- le traitement juridique de la rumeur
2- la situation juridique des Users de l’internet, en Tunisie.
3- Vers l’émergence d’un droit pénal des nouvelles technologies?
1- le Traitement juridique de la rumeur:
La rumeur n’est pas définie juridiquement même si la Tunisie la connaît depuis des siècles. C’est une notion universellement connue mais elle prend une autre dimension dans les pays qui connaissent un handicap quelconque dans le secteur d’information. Elle se substitue alors aux canaux officiels et devient une des sources d’information privilégiées des différentes couches sociales de la population.
Sa définition tient donc, avant tout, à son fondement psychologique et social. C’est le "Bruit qui court transmis de bouche à oreille avec toutes les déformations introduites par chaque individu"[1]. "La rumeur se déforme dans les relais mais certains éléments sont sélectionnés et accentués, la distorsion s’opérant dans le sens des intérêts, des sentiments et des opinions de ceux qui les transmettent"[2].
Il est évident qu’au mot rumeur on doit associer le verbe déformer. Rumeur sera alors une déformation de l’information ce qui suppose qu’à la base de la rumeur, une information existe. La rumeur déforme mais ne crée point l’information.
En Tunisie, la rumeur fait tout. Elle crée l’information, la déforme, la décrédibilise et parfois, elle la diffuse sans y toucher.
En Tunisie, il ne se passe pas une semaine sans qu’une rumeur voit le jour. Certaines ont trait à des affaires privées, d’autres touchent des secteurs publics. Parfois, elles touchent des personnes et des individus bien déterminés, parfois elles concernent un ensemble de personnes, un groupe ou une communauté.
Chaque année et presque aux alentours de la même période, des rumeurs sur l’enlèvement des enfants, la tolérance conditionnée de la polygamie, le changement des conditions du service national (militaire) et le versement d’un montant X à la célébration des mariages circulent à des degrés différents et font, parfois, tache d’huile.
C’est une première que les pouvoirs publics réagissent à une rumeur et font assigner le désigné coupable en Justice.
Cet acte sera-t-il un Cas de jurisprudence?
Quelle sera la situation des rumeurs qui ne circuleront pas via internet ou d’autres canaux d’information?
On se demande si le fait d’avoir relayé la rumeur via facebook et autres supports n’est il pas en sois un cas de complicité nécessitant les même peines?
Quelle autorité judiciaire, publique ou autre sera en droit d’engager les poursuites contre une rumeur?
Quels moyens d’investigations suit-on dans de telles situations?
Honnêtement, on voit mal les moyens juridiques capables de résoudre tant de complications techniques et juridiques. Mais c’est un premier cas dont espère qu’il sera perçu à juste titre et dans son sens le plus saint et n’ouvre pas la voie à des abus de tout genre.
2- la situation juridique des Users de l’internet, en Tunisie.
Quelle loi régit les usagers d’internet en Tunisie? Beaucoup de gens, en Tunisie et dans le monde, ont le sentiment que cet espace virtuel est un espace de non droit où tout est permis. Hélas, la réalité est toute autre puisque les moyens juridiques pour rappeler l’application de la loi à ce cadre existent même si leurs efficacités est parfois limitée voir inexistante, parfois.
La poursuite judiciaire des individus en raison de leurs agissements signalés sur Internet n’est pas une première en Tunisie. Les cas se poursuivent de plus en plus et pour des raisons différentes. On note récemment des cas de diffusion de films x, l’affaire de rumeur d’enlèvement d’enfant et une affaire de publication de photos obscènes d’une jeune femme par son ex.
Pour ces affaires, la justice est saisie.
Mais on a toujours le mauvais souvenir d’autres actes restés sans sanction ni poursuite touchant la diffusion sur Youtube d’un enregistrement d’une situation intime d’un couple, les données personnelle d’une jeune étudiante ou les photos des différentes personnes sur des dites de rencontre faites par des gens malveillants.
Aujourd’hui, après que la justice ait fait savoir qu’elle peut aller chercher toute personne contrevenante sur Internet, on se demande comment peut-on porter plainte et devant qui?
Encore, quels moyens la justice pourrait utiliser pour contraindre des sites étrangers contenant des infos ou des données qui nuisent à un citoyen Tunisien ou à la Tunisie?
Enfin, il est évident qu’un usager de l’internet pourrait être, de part ses activités, un criminel, un commerçant ou un journaliste…Mais l’est-il aussi sur le plan juridique?
3- Vers l’émergence d’un droit pénal des nouvelles technologies?
La question est de savoir si notre législation est apte à régler les différents cas qui pourraient se présenter devant la justice?
L’internet, en tant que cadre virtuel, pourrait-il influer sur différents éléments: Qualification du fait, sa preuve, détermination du tribunal compétent, autorité compétente pour agir, nature du dommage subi, moyens de réparation du préjudice…?
Un usager qui vend des automobiles sur internet de manière habituelle et continue, n’est-il pas un commerçant? N’est-il pas un commerçant ne respectant pas la législation?
Un usager qui vend des articles importés et en fait la promo sur internet, est-il conforme à la législation sur la publicité et la consommation?
Traiter les situations de manière casuelle ne résout pas les différents problèmes qui vont se poser.
Beaucoup d’usagers n’évaluent pas les conséquences néfastes d’une éventuelle violation des droits de copy right ou le droit de presse ou autre matière à juste titre et il devient absolument nécessaire de faire connaître ces risques à tout le monde.
Alors, devrait-on prévoir un cadre juridique spécifique à l’internet?
Non, car ca sera utopique.
Mais il faut donner à la loi les moyens de s’adapter à ces nouvelles donnes et informer massivement les gens sur leurs droits et leurs obligations même quand il s’agit d’un cadre virtuel.
[1] – Mucch. Psychol. 1969.
[2] – Morf. Philos. 1980.