Pourquoi refuser le témoignage d'une seule femme?

La perception populaire de la preuve testimoniale est dominée par trois éléments:

1- le témoignage d’une seule femme n’est pas possible. Il en faut deux.

2- Le témoignage d’une seule personne (homme) reste un témoignage faible. Donc, il en faut deux aussi.

La pluralité de témoins en tant qu’élément corroborant la validité de la preuve testimoniale est encore justifiée par certains de nos textes dont spécialement les articles 421 du COC et 3 du CSP. Le premier texte dans sa version arabe évoque l’élément "témoin" au pluriel; le second exige explicitement le témoignage de deux personnes pour la validité du mariage[1].

Cette perception populaire ne fait pas la différence entre matière civile, pénale ou autre. C’est une croyance qu’il s’agit d’une règle juridique générale applicable à toutes les matières.

C’est Faux.

D’abord, en ce qui concerne le CSP, il faut préciser que les témoins sont requis par le texte en tant que condition de validité du mariage et non pas en tant qu’élément de preuve même si au fond de la question, les témoins servent en réalité à prouver que les époux ne souffrent pas d’une des conditions d’empêchement légal (religieux) du mariage.

En outre, le CSP parle de témoins sans évoquer leur sexe (masculin ou féminin) mais on n’a jamais vu dans la célébration de nos mariages la présence d’une femme (ou même deux) en tant que témoins même si rien ne l’interdit.

L’origine de cette perception populaire relayée par la justice et les justiciables est un verset coranique[2] qui évoque comme l’une des conditions du témoignage la présence de 2 hommes ou un homme et 2 femmes. En d’autres termes, en matière testimoniale, un homme vaut 2 femmes. En matière successorale aussi, on dit qu’il revient à un homme ce qui revient à 2 femmes.

On comprend dès lors que la règle est du droit musulman. Sauf que la preuve testimoniale en droit musulman est plus complexe. Le coran parle de 4 témoins en un cas de matière pénale (le cas d’accusation d’adultère portée à l’encontre des femmes mariées)[3].

Nos jurisconsultes du droit musulman ont dressé une échelle de la preuve testimoniale qui diffère en fonction de la matière. Certains ont fixé cette échelle à 4 niveaux[4], d’autres à 6 catégories[5].

Le droit tunisien n’a pas adopté ce système. Dire aujourd’hui qu’on applique une de ses parties sans les autres serait, à mon avis, aberrant voir insensé.

Dans une affaire de prud’homme où l’employeur justifiant son licenciement de l’employé a prouvé les menaces de ce dernier par le témoignage de l’un des ses collègues, la Cour de Cassation a estimé que l’évaluation du témoignage relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges de fond et que l’importance du témoignage n’est pas liée à la pluralité des témoins, mais plutôt à sa clarté et sa précision rejetant ainsi le grief des auteurs du pourvoi fondé sur la violation des articles 421 et 473 COC qui imposent, selon eux, la pluralité des témoins [6].

Cet arrêt s’inscrit dans une ligne directrice poursuivie depuis un bon moment par la haute Cour et qui consiste à donner une importance particulière à la conviction du juge en tant qu’élément primordial déterminant son verdict qui doit être fondé sur la corrélation vérité/ Justice.

On se demande dès lors, pourquoi ne pas se tenir à un témoignage d’une seule femme s’il engendre chez les juges une conviction certaine de la vérité peu importe la matière dans laquelle intervient ce témoignage?

Si on tient aujourd’hui à l’évolution qu’a connue la société et au vu des éléments statistiques sans faille démontrant une présence distinguée de la femme au sein de cette même société justifiant son intelligence et son militantisme qui la mettent souvent dans une position avant-gardiste on est en droit de se demander par quelle logique pourrons-nous estimer que l’honneur d’une femme est moins valeureux que celle d’un homme impliquant que la parole de ce dernier ait la valeur double de celle qui pourrait être sa mère ou sa fille?


[1] – Article 3 du CSP «Le mariage n’est formé que par le consentement des deux époux. La présence de deux témoins honorables et la fixation d’une dot au profit de la femme sont, en outre, requises pour la validité du mariage.»

[2] – قال تعالى: «وَاسْتَشْهِدُوا شَهِيدَيْنِ مِنْ رِجَالِكُمْ فَإِنْ لَمْ يَكُونَا رَجُلَيْنِ فَرَجُلٌ وَامْرَأَتَانِ مِمَّنْ تَرْضَوْنَ مِنَ الشُّهَدَاءِ» {البقرة:282}

[3] -قال تعالى: « وَالَّذِينَ يَرْمُونَ الْمُحْصَنَاتِ ثُمَّ لَمْ يَأْتُوا بِأَرْبَعَةِ شُهَدَاء فَاجْلِدُوهُمْ ثَمَانِينَ جَلْدَةً وَلَا تَقْبَلُوا لَهُمْ شَهَادَةً أَبَدًا وَأُوْلَئِكَ هُمُ الْفَاسِقُونَ» { النور 4}

[4] – أما نصاب الشهادة فهو على أربع مراتب:

الأولى: الشهادة على الزنا ونصابها أربع رجال.

الثانية: الشهادة على بقية الحدود والقصاص ونصابها رجلان، ولا تقبل فيها شهادة النساء.

الثالثة: الشهادة على ما لا يطلع عليه الرجال من عيوب النساء كالولادة، والبكارة فيكتفي فيها بشهادة امرأة واحدة.

الرابعة: سائر حقوق العباد، سواء أكانت مالاً أو غير مال كالبيع والهبة والنكاح والإِجارة والوصية، ونصابها رجلان أو رجل وامرأتان.

[5] – أما الشهادة على ست مراتب:

1- شهادة أربع رجال وذلك في الشهادة على الرؤية في الزنا بإجماع .

2- شهادة رجلين وذلك في جميع الأمور سوى الزنا .

3- شهادة رجل وامرأتين وذلك في الأموال خاصة دون حقوق الأبدان, النكاح, و العتق, والدماء, والجراح, وما يتصل بذلك كله واختلف في الوكالة على الأموال وأجازها أبو حنيفة في النكاح, والطلاق, والعتق, وأجازها الظاهرية مطلقاً.

4- شهادة امرأتين دون رجل وذلك فيما يطلع عليه الرجال, كالحمل, والولادة, والعتق, وأجازها الظاهرية مطلقاً.

5 – رجل مع يمين وذلك في الأموال.

6- امرأتان مع يمين في الأموال أيضاً.

[6] – Cour de Cassation, arrêt n° 12334 du 17/11/2007; BCC 2007, I, p.163.

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